Bridgestone : "Il s'agit de se préparer à vivre une nouvelle reconversion, industrielle"
A Béthune, la situation de l'usine Bridgestone est alarmante. Le dialogue entre l'Etat et la direction Europe du groupe est difficile. La députée du Pas-de-Calais Marguerite Deprez-Audebert répond à nos questions. L'enjeu de la souveraineté industrielle est essentiel.
Mouvement Démocrate - Sur quelles bases peut fonctionner le dialogue entre le politique – l’État – et la direction Europe de Bridgestone ?
Marguerite Deprez-Audebert - Bruxelles a perdu confiance dans le site béthunois, surtout après le refus de signature de l’accord de performance collective préparé pendant huit mois ! Donc c’est compliqué, l’usine est la plus ancienne du groupe en Europe ; il y a longtemps, au moins dix ans, que le front uni des Élus, affiché cette semaine, aurait dû se mobiliser et anticiper le devenir de cette usine aujourd’hui obsolète. Bridgestone veut sortir proprement, appliquera les textes, aidera à la reprise du site et veillera à son image. Je n’ai, hélas, pas le sentiment qu’il ira au delà. J’ai cru comprendre qu’un budget conséquent était prévu. Les salariés sont certainement plus attachés à cette usine que Bridgestone l’est à Béthune. Si un accord de performance collective avait été signé l’an dernier, des négociations auraient pu exister. Le président Bertrand est prêt à se rendre au Japon. Il se bat et je salue sa détermination. Mais je ne pense pas que la direction « monde » déjugera celle de l’Europe.
Peut-on imaginer des scénarios alternatifs à la fermeture de l’usine ?
Cette usine fait partie du patrimoine béthunois. Elle incarne le marqueur de son ADN industriel mais elle a vieilli ; il faut d’abord que le site et son environnement soient complétement relookés pour être en mesure d’attirer des investisseurs. Il faut résoudre le problème de l’enclavement de la ville, recréer une triple attractivité humaine, technologique (5G), physique. On pourra très bien profiter du projet de l’usine européenne de batteries à Douvrin (à 10km) qui prévoit 2200 emplois ; il y aura forcément des emplois induits à créer, dont le site de Béthune pourrait est le centre. Je sais qu’il y a aussi un projet Hydrogène multisites dans les Hauts-de-France. Un site pourrait être fléché sur Béthune. Il est aussi impératif que Béthune monte dans le train des délocalisations à venir et se mettre en ordre de marche. J’imagine que les fonds publics nécessaires seront au rendez-vous.
Pourrait-on moderniser - ou reconvertir - le site béthunois de Bridgestone ? Avec ou sans Bridgestone ?
Firestone Bridgestone fut le point de départ de la reconversion minière du Béthunois, il y a 60 ans. Il s’agit désormais de se préparer à vivre une nouvelle reconversion, industrielle cette fois-ci. Il faut à mon avis regarder vers l’avenir. Bien sûr cela va coûter cher. Peut-être parviendrons-nous à convaincre Bridgestone de participer à cette reconversion. L’essentiel est d’avoir un bon projet. On sait recréer des emplois industriels en France (34000 ces trois dernières années) ; les prochains devront être crées chez nous, sur le territoire d’industries du Béthunois.
Dans cette période de crise économique, comment accompagner les salariés de Bridgestone qui ne conserveraient pas leurs emplois ?
Sur les 863 emplois restants, on a 550 en production C’est pour eux qu‘il faudra être le plus attentif et notamment les plus de vingt ans d’ancienneté.
La première réponse est une formation et une adaptabilité à d’autres métiers manuels. 130 postes en Industrie sont actuellement à pourvoir dans notre bassin d’emploi. Une centaine pourrait être reclassée dans le groupe.
En quoi la souveraineté industrielle européenne est-elle un enjeu essentiel aujourd’hui ?
C’est le gros problème et une vraie cause de nos maux. Faute de véritable politique industrielle européenne, nous avons laissé les Chinois entrer et même envahir le marché européen avec des pneus beaucoup moins chers. Leur part de marché a progressé de dix points en quelques années et représente 25 % ! La souveraineté industrielle européenne se réalisera à partir d’une politique industrielle commune et suppose une protection des frontières, en imposant des critères qualitatifs par exemple, mais aussi une synergie et un partage de valeur entre les différents sites de production ; elle aura pour corollaire un minimum de solidarité. Le but est de tendre vers une triple convergence :
- Écologique, qui sera la plus facile à obtenir, du fait de la prise de conscience des pays et la volonté de respecter les accords de Paris (en n’oubliant pas qu’ils prônent un secteur automobile maîtrisé et moins énergivore qui diminuera les besoins en pneus)
- Sociale, c’est le sens du socle européen des droits sociaux qu’a imposé l’ancien président de la Commission M. Juncker (voir mon rapport paru en 2019). Des avancées ont vu le jour (travailleurs détachés, transports etc) car on sent les mentalités évoluer et les besoins réels avancer
- Et fiscale, qui sera la plus compliquée à atteindre, car cette compétence appartient aux états. C’est davantage par la création de taxes européennes qu’on progressera.