Marguerite Deprez-Audebert : "Le véritable problème dans notre pays est qu’on pêche par défaut d’anticipation"
Dans le Nord du pays, et plus particulièrement dans le Pas-de-Calais, l’inquiétude retombe légèrement à la suite des décrues des trois bassins dont les débordements successifs ont provoqué des dégâts considérables depuis le 6 novembre 2023.
Marguerite Deprez-Audebert, ancienne députée du Pas-de-Calais, a accepté de témoigner sur la situation et ainsi développer les réflexions à mener pour mieux anticiper et gérer ces phénomènes climatiques dévastateurs.
Alors que le président de la République a sommé le gouvernement « d’accélérer les réponses » face à ces catastrophes, l’état des lieux général de la situation demeure encore fragile. En effet, depuis le début de ces épisodes l’on décompte 11 000 sinistrés, 262 communes touchées et des centaines d’établissements scolaires fermés.
Pouvez-vous faire un point de situation générale ?
Marguerite Deprez-Audebert : Il y a longtemps que l’on craignait ces débordements... Un élu de la commune de Watten avait déjà exprimé sa crainte dans La Voix du Nord en 2016. Évidemment, le dérèglement climatique est venu se greffer à un déficit d’entretien général.
On peut aussi noter que la France n’a, il est vrai, pas de culture de gestion de l’eau a contrario de nos voisins belges ou néerlandais.
Toutefois on observe que les dégâts sont minimes dans le département voisin du Nord car il entretient certainement mieux que celui du Pas de Calais, moins riche pour sa décharge.
Enfin, je crois que nos élus privilégient par ailleurs le court au long terme, renâclent à réaliser des aménagements conséquents pour une raison simple : cela est peu glamour sur le plan communicationnel. Ils préfèrent la cosmétique environnementale, c’est à dire ce qui se voit à ce qui ne se voit pas… le curage par exemple.
Concrètement, comment expliquer de telles inondations ? D’autant plus à intervalle aussi court ?
Je pense qu’on a construit de façon anarchique et déraisonnable dans les communes périphériques, sans prise en compte suffisante des risques potentiels.
Le citoyen français veut sa maison à tout prix, donc les élus cèdent à la pression et y voient un moyen d’augmenter les trop modestes recettes communales.
Faces à de telles crues, quels sont les premiers réflexes à adopter pour un citoyen ?
Pour moi c’est d’abord aux élus d’agir, à tous les niveaux et de façon concertée, en prenant en compte les risques, en respectant les documents d’urbanisme, en artificialisant moins, en plantant davantage car les arbres possèdent un pouvoir d’absorption de l’eau.
S’agissant des citoyens, c’est compliqué… Bien souvent ce sont des foyers modestes qui sont pris au piège et ils voient leur unique bien endommagé, voire inhabitable. Ils n’ont pas la possibilité d’entreprendre un nouveau projet immobilier, sauf à les aider et là l’État devra intervenir pour pallier aux négligences.
Quelles sont les pistes à creuser pour mieux anticiper ces inondations ?
Honnêtement, que ce soit d'un point de vue environnemental ou d'aménagement du territoire, l'anticipation est possible.
On le voit bien, les pistes sont nombreuses : curer les fossés et lits des rivières, désensabler les estuaires côtiers, planter des arbres et des haies, ou encore prévoir des bassins de rétention d’eau.
Est-ce que la vague de froid complique-t-elle ce travail de « l’après-inondation » ?
Le froid va a priori faire cesser la pluie. Mais si celle-ci se transforme en neige, cela ne peut que compliquer le nettoyage.
Il n’y a rien de pire que le froid humide même si les forces de secours sont équipées.
En fait, je crains une explosion de maladies et de conséquences psychiques.
Quels sont les contacts ou personnes ressources à solliciter lorsqu’on est victime d’inondations ?
Naturellement, il faut prévenir les pompiers dans un premier temps. Ensuite, c’est à l’assureur d’entrer en jeu pour s’occuper de la partie indemnisation.
Mais vous savez, dans le Pas-de-Calais s’est, comme souvent, manifestée une solidarité spontanée entre habitants, élus et professionnels.
Comment l’État a-t-il aidé les sinistrés durant ces dernières semaines ?
L’État est au rendez-vous avec la mobilisation des forces de sécurité, appelant à la rescousse les brigades d’autres régions.
L’Union européenne a aussi répondu présente en actionnant le mécanisme très utile de solidarité qui prévoit l’envoi de matériel de nos partenaires européens.
Le véritable problème dans notre pays est qu’on pêche par défaut d’anticipation. Si vous regardez bien, le coût global de ces cataclysmes climatiques sera plus lourd que l’entretien des infrastructures ou la réparation de celles-ci.