Scandales dans les EHPAD : agir vite et durablement sur les conditions de travail et le financement
Suite au scandale dans les EHPADs, Cyrille Isaac-Sibille, député du Rhône et secrétaire de la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, a été nommé par le Premier ministre pour une mission "flash" pour proposer des solutions contre les dysfonctionnements existants. Interview.
Dans un ouvrage publié en janvier dernier, le journaliste Victor Castanet accuse le groupe Orpea d’actes de maltraitances envers les résidents de certains de ses Ehpad. Les auditions et enquêtes menées par le Gouvernement ainsi que la représentation nationale dressent le constat de dysfonctionnements s’inscrivant dans un système global, d’une gestion centrée autour des profits et des réductions de coûts. Dans un contexte où la population vieillit, devient davantage dépendante, c’est toute la politique de l’autonomie et du grand âge qui tend à être renforcée.
Le Mouvement démocrate est très impliqué, au sein de la Commission des affaires sociales, sur ces sujets à l’Assemblée nationale.
Les révélations de ce livre vous ont-elles surpris ?
La majeure partie des éléments avancés n’ont pas constitué une surprise puisque nous avons débuté cette législature en Commission des affaires sociales autour des problématiques liées au Grand âge (autonomie, prise en charge de la dépendance) et avons, depuis 2017, examiné un certain nombre de rapports faisant état des difficultés rencontrées par les Ehpad et formulant des recommandations pour y remédier.
Ces difficultés proviennent du fait que nous faisons face à un mur démographique. Le vieillissement de la population s’accroît (et nous pouvons nous en féliciter !) tout comme la dépendance de nos aînés (pour laquelle un effort de prévention est indispensable !). En France, nous détenons le record de longévité, mais également celui du vieillissement en mauvaise santé. La France compte 1,3 millions de personnes âgées dépendantes : 600 000 résidents d’Ehpad, et 700 000 à domicile. D’ici à 2050, le papy-boom nous laisse présager 2,2 millions de personnes âgées dépendantes.
Depuis cinq ans, des mesures ont été prises pour pallier ces difficultés et agir en faveur du bien-vieillir, à domicile comme en établissement :
· La création de la cinquième branche de la Sécurité sociale, consacrée à la reconnaissance de la perte d’autonomie comme un risque devant être pris en charge, à part entière, de manière universelle et solidaire, par la Sécurité sociale. Je suis fier d’être le député à avoir posé le premier amendement pour cette avancée !
· La création de 10 000 postes de soignants en Ehpad.
· La revalorisation salariale des professionnels du secteur médico-social, c’est-à-dire 183 euros nets par mois au sein des Ehpad publics et associatifs, 160 euros nets au sein des Ehpad commerciaux.
· La hausse du minimum vieillesse de 100 euros par mois pour une personne âgée vivant seule. Etc…
Nous devons continuer dans cette direction !
Les allégations concernant les actions d’optimisation par les gestionnaires du groupe (politique de rationalisation, marges arrières) ont, quant à eux, été surprenantes. En tant que parlementaires, nous votons les budgets, nous contrôlons l’action du Gouvernement, mais il ne relève pas de notre mission de vérifier le bon usage des deniers publics par ces acteurs.
Selon vous, quelle est l’origine des défaillances au sein des Ehpad ?
L’un des dysfonctionnements mis en avant par le scandale Orpea est lié la gestion « industrielle », c’est-à-dire la gestion fonctionnelle verticale des établissements d’accompagnement des personnes âgées que l’on retrouve au sein des groupes privés.
Des tableaux de bord avec des indicateurs de performance à suivre sont élaborés par les dirigeants de ces groupes, qui ne portent qu’une vision globale sur leurs établissements, centrée sur le taux d’occupation, à destination des directeurs de chaque établissement. Cette centralisation et cette contrainte des directeurs d’établissement conduit à leur déresponsabilisation et à une perte de marge de manœuvre au profit de cadres « dirigeants », déconnectés des besoins et du bien-être des résidents et de leurs personnels.
Les constats ayant été dressés, quelles sont vos préconisations ?
A la suite de l’affaire Orpea, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale – dont je suis le Secrétaire – a mené diverses auditions et a lancé quatre missions portant sur des thèmes afférents aux Ehpad afin de comprendre comment ont pu survenir certaines dérives et comment résoudre les difficultés énoncées.
A l’issue de ces travaux, nous avons émis plusieurs recommandations, portant à la fois sur les difficultés d’ordre général auxquelles font face les Ehpad, mais également sur des problèmes spécifiques aux groupes privés.
S’agissant des problèmes globaux que l’on constate depuis plusieurs années au sein de différents Ehpad, quel que soit leur statut (public, privé non lucratif, privé lucratif), nous préconisons :
- Un ratio minimal opposable de personnels par résident, notamment aux moments où les personnes âgées en ont le plus besoin – au lever, lors de la toilette, à l’heure du repas et au coucher, ce qui se traduit par la création de plusieurs postes. ;
- Des améliorations en termes de conditions de travail, avec une revalorisation salariale spécifique au grand âge, dans le prolongement des actions engagées ces dernières années ; des mesures d’aide au logement à proximité du lieu de travail ; une réglementation des glissements de tâches, afin d’inscrire les délégations autorisées, etc.
- Un renforcement des actions de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, pour lutter contre le taux de sinistralité considérable que l’on retrouve dans le secteur médico-social (supérieur au taux de sinistralité du secteur du bâtiment).
- La présence de métiers divers au sein des Ehpad, afin d’accompagner les résidents dans leur vie quotidienne (animateurs, psychologues, ergothérapeutes).
S’agissant des difficultés caractéristiques aux groupes privés ou aux structures regroupant de nombreux Ehpad, nous préconisons principalement de :
- Renforcer le rôle des directeurs d’établissements, notamment en assurant leur présence lors des négociations relatives au Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens, faisant aujourd’hui l’objet de discussions entre les Agences régionales de Santé, les conseils départementaux et les groupes.
- Intégrer un volet médico-social à la formation des directeurs d’établissements (notamment commerciaux), pour éviter qu’ils n’adoptent une vision « gestionnaire et managériale » des besoins de nos aînés.
- Renforcer les contrôles en clarifiant leur finalité, qui doivent être menés sur la base d’indicateurs de la qualité de vie des résidents (respect de la bienveillance et de la bientraitance).
Ces recommandations visant à améliorer la qualité du service rendu aux personnes âgées sont – et c’est leur point fort – issues d’un travail convergent. Elles ont focalisé l’ensemble des acteurs institutionnels, en un même temps, autour de cette réflexion, que ce soit le Gouvernement, avec le lancement d’une double enquête administrative et financière ; l’Assemblée nationale, avec les différents rapports de mission issus d’une réflexion intergroupe parlementaire ; la Haute Autorité de Santé, avec son référentiel de qualité du secteur médico-social.
Cela promet des actions fortes et conjointes dans les mois à venir.
Vous avez évoqué plus tôt les problématiques liées au Grand-âge. Quelles sont-elles ?
Face au mur démographique, il existe plusieurs problématiques.
D’une part, il y a une carence de l’offre à domicile. Aujourd’hui, il importe d’accélérer le virage domiciliaire et de permettre aux personnes âgées de vivre le plus longtemps possible à leur domicile, avec des services de soins et d’accompagnement de qualité. Il nous faut donc aller dans le prolongement des mesures prises tout au long de cette législature, c’est-à-dire favoriser les aménagements des logements de nos aînés, pour les adapter aux besoins liés à leur perte d’autonomie ; renforcer le statut du proche aidant ; renforcer les professions d’aide aux soins et à l’hospitalisation à domicile. L’objectif est de développer des Ehpad « plateformes hors les murs », permettant d’associer les structures de soins à domicile et les Ehpad.
D’autre part, nous nous interrogeons sur la création de nouveaux Ehpad pour faire face au papy-boom. Car si l’on renforce le soin à domicile, sans création de nouveaux Ehpad, il est à prévoir que ces établissement se médicalisent encore davantage en raison de l’augmentation de la dépendance, loin des lieux de vie, d’accompagnement et d’hébergement initiaux. Cependant, si l’on en crée davantage, se pose la question de leur statut (doit-on les confier au privé ? Les regroupements d’établissements seraient-ils une solution ?).
Que reste-il à faire ?
Il nous reste désormais à adopter une loi de grande ampleur afin d’améliorer la qualité de vie des personnes âgées et anticiper la perte d’autonomie. La loi « Grand âge et autonomie », prévue pour ce quinquennat, a dû être reportée en raison de la crise sanitaire. Celle-ci se structurait autour de plusieurs axes (prévention, gouvernance, métiers, financements) :
- Accorder la priorité à la prévention, afin de retarder les évolutions liées au vieillissement, à domicile comme en établissement, pour vivre plus longtemps en bonne santé. L’approche doit désormais être préventive, en amont de la perte d’autonomie, plutôt que curative.
- Simplifier la gouvernance du grand âge, en arbitrant entre les ARS et les conseils départementaux.
- Renforcer l’attractivité des métiers du grand âge, ces merveilleux métiers humains qui doivent être mieux rémunérés et moins pénibles en termes de conditions de travail.
- Repenser et faciliter les parcours à domicile des personnes âgées.
- Améliorer la qualité des soins et des accompagnements en établissements.
- Associer les personnes âgées et leurs familles.
Quels financements ?
Pour renforcer le financement du secteur du Grand âge, l’une des avancées majeures de ce quinquennat a été la création par l’Assemblée nationale de la 5ème branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.
Cette politique fait l’objet d’un triple financement :
- Le soin médical est pris en charge par les ARS.
- La dépendance et l’accompagnement aux gestes du quotidien des personnes âgées est pris en charge par les conseils départementaux.
- Les frais relatifs à l’hébergement sont à la charge du résident (ou de sa famille) ou de l’aide sociale pour les personnes précaires.
Bien souvent, pour les familles modestes, cela représente un reste à charge important. Se pose dès lors la question de sa prise en charge par la solidarité nationale. Un prélèvement obligatoire sur les salaires, dès le début de la vie active, serait l’une des solutions pour que les citoyens contribuent de manière responsable au financement de cette politique.
En outre, la question des financements du Grand âge est liée à celle de la réforme des retraites. La prise en charge de la dépendance des personnes âgées est une inquiétude pour l’ensemble des familles (grands-parents, enfants, petits-enfants) car il représente souvent un poids financier. Elle doit relever de la solidarité nationale, et nous devons donc trouver un financement pour cette prise en charge. Certains rapports évoquent 10 milliards supplémentaires. Face au vieillissement de la population, nous devons mettre en œuvre des actions de prévention pour faire reculer la dépendance chez les personnes âgées, mais également reculer l’âge de départ à la retraite, ce qui permettrait de prendre en charge financièrement la politique relative à l’autonomie. Tels sont les deux enjeux liés l’un à l’autre que devra relever la prochaine législature devra relever deux enjeux.