Sandrine Josso : « La soumission chimique, le crime presque parfait »
Sandrine Josso, députée MoDem de Loire-Atlantique, est chargée d’une mission gouvernementale sur la soumission chimique. Dans les colonnes de Ouest-France, elle revient sur ce fléau.
Les témoignages de victimes de soumission chimique dans le documentaire sont poignants. Ce film peut-il faire avancer les choses ?
Je l’ai vu en avant-première, avec ma fille aînée. À la fin, en sortant de la salle, elle pleurait… Les victimes relatent les faits et les épreuves. Le film va certainement avoir un retentissement. On parle dans ce docu du procès Pelicot, mais surtout des victimes de la soumission chimique.
Qui sont parfois doublement victimes. Elles ont été agressées et elles portent le fardeau de la honte…
Moi, je n’ai jamais eu honte et ça m’a aidé. Mais c’est parfois difficile, je ne vous le cache pas.
Je me suis dit, c’est tellement inadmissible. Il y a eu pourtant la trahison d’un homme (NDLR, le sénateur Joël Guerriau, poursuivi pour administration d’une drogue en vue de commettre une agression sexuelle ou un viol, toujours présumé innocent) que je connaissais depuis dix ans. Les victimes qui portent plainte sont courageuses. Il faut les aider, les accueillir, les soutenir.
La honte doit changer de camp ?
La libération de la parole a commencé depuis MeToo. Mazan, c’est une autre étape.
On rend visible ce qui était invisible, les prédateurs qui se rendent sur des sites Internet.
Il a été question de Coco, le site ou allaient monsieur Pelicot et ses complices, mais il y en a d’autres !
Vous conduisez une mission gouvernementale sur la soumission chimique. Comment le procès Pelicot nourrit vos travaux ?
J’ai rencontré la médecin qui avait ausculté Gisèle Pelicot, l’experte, la procureur, les avocats, les associations de victimes. J’ai écouté les plaidoiries de toutes les parties.
Ce qui m’a marqué, c’est la façon dont la police, la justice, les avocats, questionnent la victime.
On a beaucoup de retard en France par rapport à d’autres pays. Il faut que les avocats soient mieux formés pour interroger les victimes, sans les déstabiliser.
Derrière ce rapport, que vous remettrez au printemps, l’un des enjeux est de parvenir à matérialiser les faits, à conserver des preuves…
C’est très important de faciliter l’accès à la preuve, sur le plan médical, dans les pharmacies, les établissements de santé, pour faire les prélèvements de sang et d’urine et pouvoir ensuite les envoyer aux laboratoires homologués. Les médecins et les pharmaciens, aujourd’hui, sont mobilisés et mesurent l’ampleur du problème. Ils m’ont soutenue à l’Assemblée nationale, quand j’ai défendu un amendement pour prendre en charge les examens de sang et d’urine.
Je pense qu’on va endiguer cette soumission chimique grâce à l’action des professionnels de santé.
(...)
Personne n’est à l’abri de la soumission chimique, ce fléau touche toutes les catégories sociales…
Tout le monde ! Je l’ai compris quand cela m’est arrivé. Aux urgences, les médecins et le personnel soignant m’ont dit : « Mais madame, c’est tous les jours ! » En France, les études ont d’abord montré que les détournements des médicaments pouvaient servir à des fins d’inceste.
Les faits de soumission chimique sont très difficiles à prouver. Dans certains cas, une fois sur deux, avec certains médicaments, l’amnésie frappe, la personne sédatée ne se souvient de rien.
Avec la soumission chimique, c’est le crime presque parfait.
Après, c’est une course contre la montre des victimes pour essayer de rassembler des preuves.
Sans preuve, impossible de porter plainte ?
90 % des victimes de soumission chimique n’ont pas de preuves et beaucoup d’entre elles, pour des raisons diverses, ne veulent pas porter plainte ou témoigner. Elles vivent la même souffrance mais sans preuve.
Dans le documentaire, il y a une victime qui raconte qu’on lui a demandé au commissariat si elle n’avait pas pris du plaisir d’être violée. On en est là…
Quand ça vous arrive, il faut que ce soit dans la bonne ville, que vous puissiez contacter ou voir les bonnes personnes, au commissariat, à l’hôpital, etc.. Que vous trouviez un bon avocat. C’est un coup de poker. Cette loi du hasard doit cesser.
Et ça peut arriver partout. Dans une soirée, mais aussi au domicile familial, ce qu’on oublie trop souvent.
La drogue n’est pas le premier moyen de soumission chimique.
Le premier, ce sont les médicaments antihistaminiques, les anxiolytiques, d’autres encore, des produits que l’on a souvent dans nos boîtes à pharmacie à la maison. On dissimule le produit dans une boisson ou dans un plat épicé parfois.
Dans le documentaire, une femme explique que son père dissimulait le produit dans un yaourt. Dans 90 % des cas, cela se produit dans la sphère familiale ou amicale et avec des médicaments.
Depuis l’affaire Guerriau et le procès Pelicot, les témoignages sont-ils en hausse ?
Le numéro 3919, pour les femmes victimes de violences, est très sollicité. Les associations spécialisées ont été submergées de personnes qui leur ont dit : c’est ce qui m’est arrivé. Et le centre de référence sur les agressions facilitées par les substances, piloté par une pharmacologue, Leila Chaouachi, a reçu des appels de professionnels et de victimes.
En parlant, j’ai fait un acte politique. J’attends qu’on se rende compte des ravages de la soumission chimique et de son impact sur la vie des victimes, sur leur santé.
Pour ma part, je souffre toujours de stress post-traumatique, de problème de dos et je suis toujours suivie par un psychologue.