Comment restaurer la confiance dans le politique?
Vendredi 26 juin, Université 133 a auditionné 5 élus sur le thème « Comment restaurer la confiance dans le politique ? » : la sénatrice des Pyrénées-Atlantiques Denise Saint-Pé (commission des affaires économiques), la députée du Cher Nadia Essayan (commission du développement durabe et de l’aménagement du territoire), le député des Pyrénées-Atlantiques Jean-Paul Mattéï (commission des finances), le député de la Vendée Philippe Latombe (commission des lois) et le maire d’Hérouville (Calvados) Rodolphe Thomas.
La démocratie représentative connaît une crise de confiance. L’analyse de la confiance est au centre de beaucoup de disciplines : économie, sociologie, philosophie morale, philosophie politique, histoire, science politique, psychologie. C’est une évidence : la confiance est une variable clé du bon fonctionnement des sociétés. Comment construire une société de confiance ? La confiance est toujours plus difficile à créer et, en même temps, toujours plus nécessaire.
L’historien Christophe Bellon s’est livré à un exercice de généalogie, en analysant, depuis la IIIe République, les centristes face à la crise politique démocratique. Trois grandes attitudes se dessinent, tout au long du XIXe siècle : la question de la morale, celle du bon gouvernement, l’interrogation sur la force et les faiblesses de la démocratie moderne. Refonder la confiance importe particulièrement dans les moments où l’on instaure un régime. Et la confiance passe aussi par la production de lois constitutionnelles. La question de l’exemplarité politique, de la méthode se fait jour. Avec Louis Barthou, notamment, on arrive à un centrisme d’enseignement civique et moral. Christophe Bellon remonte jusqu’au XXe siècle, avec la volonté de moraliser la vie politique. Les règles d’or de Jacques Barrot sont ainsi détaillées : avoir une bonne connaissance de la société et du monde, résister à l’exhibition médiatique, rester modeste et honnête intellectuellement.
Olivia Leboyer (politologue) souligne quelques paradoxes de la confiance, qui tient de la décision (trust) et de l’intuition (confidence) et de la représentation politique, nécessairement ambivalente, avec une part d’incarnation. Alexis de Tocqueville redoutait déjà, en 1835, que les citoyens des siècles démocratiques soient fascinés par le pouvoir mais aient tendance à haïr ceux qui l’incarnent. Par envie, sans doute, ou par un sentiment de décalage entre eux et une sphère qui leur paraît coupée des réalités. Comment le politique peut-il retisser de la confiance ? En rapprochant les représentants des représentés, en associant les citoyens à la prise de décision, en les prenant en considération. Mais la tâche est délicate, la confiance tenant de la fides romaine : il y entre une part de croyance, de foi, qui échappe aux intentions.
Le rapporteur de l’atelier, Raphaël Liogier (professeur de sociologie à Sciences po Aix), rappelle que les représentants sont ceux qui parlent à la place du peuple, qui « tiennent lieu de ». Ce qui leur est principalement reproché, c’est la corruption : aussi leur faut-il éviter 2 écueils, le réalisme et l’extrémisme. Dans le premier cas, l’homme politique est sans idéal ; dans le second, il a un idéal, mais négatif. Manque quelque chose : une forme de radicalité. Plus que d’adhésion, il faudrait parler d’adhérence, qui implique que l’on ressent quelque chose directement.
La sénatrice Denise Saint-Pé nous expose une réflexion détaillée sur la confiance, distinguant la confiance envers les institutions – qu’il convient, pour certaines, de réformer – et la confiance dans les hommes et les femmes politiques. Si la démocratie participative est un idéal, instiller une dose de participation plus forte, comme lors de la Convention citoyenne pour le climat, permettrait de rapprocher les citoyens de la prise de décision. Le rôle des collectivités territoriales est essentiel, comme le prend bien en compte la loi 3D (Décentralisation, Déconcentration, Différenciation). Enfin, un autre reproche que l'on peut légitimement faire à nos institutions, c'est leur manque de représentativité. Cette lacune entretient le sentiment de défiance de nos concitoyens. Il n'est de fait pas étonnant qu'ils soient moins enclins à faire confiance à des institutions dont ils estiment qu'elles ne les représentent pas... Ce phénomène est sans doute dû au choix de la Vème République de décider les élections législatives au scrutin majoritaire. Le résultat en est connu : le système écarte les partis minoritaires pour faire émerger une majorité toute-puissante.
La députée du Cher Nadia Essayan nous livre une réflexion très intéressante sur la construction de la justice sociale. La confiance implique une société unie. Dans le vote des amendements, une plus grande subtilité devrait être autorisée dans les réponses. Trop souvent, le choix est binaire et les réflexes de vote se font avec une discipline de groupe. Le Mouvement démocrate, de longue date comme le rappelle Christophe Bellon qui remonte aux amendements sous Rocard en 1988, échappe librement à cette discipline stricte, et affirme son indépendance, votant sur des enjeux et non sur des clivages partisans. Au fond, quand les citoyens ont-ils vraiment eu confiance dans le politique ? Lorsqu’il a défendu des causes justes.
Le député des Pyrénées-Atlantiques Jean-Paul Mattéï apporte un éclairage précieux, très humain, en racontant sa trajectoire et son engagement militant, dès 1974. Encore aujourd’hui, il se sent plus citoyen qu’homme politique en tant que tel. Car un homme politique demeure essentiellement un citoyen. Dans l’exercice politique, comme maire puis comme député, il a connu certaines déceptions, devant les lenteurs de la fabrique de la loi ou de la prise de décision. Ce qui fait que, parfois, on perd le lien. Jean-Paul Mattéï se dit fermement opposé au cumul des mandats. Un homme politique doit s’exprimer en termes simples et clairs, rester accessible et, surtout, travaillé par un doute méthodologique, constructif. Ne jamais être satisfait et tenter, constamment, de s’imprégner de la société.
Le député de la Vendée Philippe Latombe est spécialiste des nouvelles technologies numériques et de la protection des libertés. La confiance et la liberté ont naturellement partie liée. La confiance appelle la confiance. La liberté appelle la liberté. Les nouvelles technologies permettent les plus grandes libertés et risquent, aussi, de porter les plus grandes atteintes à ces libertés. Aussi la confiance doit-elle toujours s’articuler avec la défiance, qui n’est pas son contraire. C’est à une vigilance critique qu’il faut s’exercer. Philippe Latombe a voté contre la loi Avia. Finalement, rien de mieux que la loi sur la presse de 1881, à ses yeux, pour préserver nos libertés. Les « vieux textes » peuvent être encore bien précieux. Comme l’avait souligné Raphaël Liogier, Philippe Latombe insiste sur le fait qu’il faut que la technique s’adapte à l’humain, et non l’inverse. On n’adopte pas une nouvelle technologie juste parce qu’elle est innovante. Evidemment, les nouvelles technologies peuvent enraîner des risques (fake news, intervention lors d’élections).
Le maire d’Hérouville, Rodolphe Thomas, réélu au premier tour pour un 4e mandat, a dû nous quitter pour s’occuper d’une affaire urgente : une femme battue par son conjoint, que les services sociaux de Caen et d’Hérouville tardaient à secourir. Les bailleurs, les institutions et services sociaux portent une responsabilité qu’ils se renvoient les uns aux autres pour abandonner certaines personnes à leur sort. D’où une perte de confiance dans la solidarité que doit produire notre société.
Sur les violences contre les élus, Nadia Essayan exprime avec force sa conviction : elle se défend, chaque fois, pas pour elle en particulier, mais pour le ce que représente un élu. Philippe Latombe remarque que la confiance règne au sein du groupe MoDem : la confiance va de pair avec la spécialisation ; si je me spécialise sur un sujet, je vais faire confiance à mon voisin, un autre député, pour les questions dont il est, lui, spécialiste. Et cela génère de la confiance. Jean-Jacques Jégou est revenu sur l’expérience du statut d’élu, à différents niveaux, et sur les frustrations que peut connaître un député qui désire agir.
Avec nous, dans cet atelier, la maître de conférences en nouvelles technologies (Sciences po) Asma Mhalla, spécialiste des ces sujets, interroge nos intervenants sur le sens qu’ils accordent à l’Etat. Pour Jean-Paul Mattéï, il doit être très présent, régulateur, au service de l’intérêt général. Fort, mais sans être trop centralisé. Pour Nadia Essayan, l’Etat doit travailler pour être le défenseur de tous. Pour le député de la Moselle Brahim Hammouche, qui est avec nous à chaque atelier, la confiance ne va pas sans le contrôle, sans des contre-pouvoirs.