Bruno Fuchs : "Remettre l’Afrique au centre de notre stratégie mondiale"
Propos recueillis par Viviane Forson pour Le PointNotre député du Haut-Rhin, et co-rapporteur avec Michèle Tabarot (LR) d’un rapport sur l’état des relations entre la France et l’Afrique, Bruno Fuchs décrypte pour Le Point les enjeux en cours. Lire son entretien.
Le Point Afrique : Pourquoi vous paraît-il, aujourd'hui, urgent pour la France de refonder sa relation avec l'Afrique ?
Bruno Fuchs : En raison d'un présent qui renvoie injustement une image de la France atteignant directement et indirectement son rayonnement international.
Du fait du passé, il faut refonder cette relation sur des bases égales et respectueuses des intérêts des parties pour ne pas être systématiquement assimilés à notre passé colonial, faisant ainsi fi de toutes les évolutions qui se sont succédé, et pour justement honorer nos liens culturels, historiques et humains avec les Africains qui se sont tissés depuis tant de générations.
Du fait de l'avenir, parce qu'il y va tout simplement de nos intérêts croisés. En effet, le continent africain, par ses potentialités tant démographiques, biodiversitaires, que minières et énergétiques, donc économiques, représente un enjeu pour l'avenir de l'humanité.
Et en la matière, l'approche de la France est plus universaliste que celle de la plupart des autres acteurs.
Ce 21 novembre un débat s'ouvre au Parlement sur la stratégie de la France en Afrique, comment jugez-vous la pertinence de ce momentum et les thèmes en question ?
Il faut se réjouir de la perspective de ce débat parlementaire. Il va enrichir notre réflexion réciproque et apporter une légitimité aux orientations de l'offre stratégique de l'exécutif.
Il intervient à un moment où toutes les prises de conscience peuvent être faites et, à mon avis, où rien n'est perdu.
Dans notre rapport, au titre de nos propositions, nous avons d'ailleurs formulé la recommandation d'un tel débat, dans le but d'impliquer davantage les citoyens dans le débat sur l'Afrique, d'y associer plus étroitement le Parlement.
Mais la principale question reste de savoir définir et d'exprimer clairement le rôle que veut jouer la France en Afrique pour redevenir cohérente et lisible et pouvoir ouvrir un nouveau cycle partenarial vertueux et fécond.
Quelle est votre évaluation du sentiment antifrançais en Afrique ? Et comment expliquez-vous que la France ne l'ait pas l'anticiper, notamment dans les pays d'Afrique francophone ?
S'agit-il réellement d'un sentiment antifrançais ? Au risque de surprendre je ne le pense pas, les Africains aiment plutôt la France, nos ressortissants, même au Mali, au Burkina ou plus récemment au Niger n'ont pas été mis en danger.
Il y a un rejet oui mais pas structurel, les Africains veulent d'une « France autrement » ! C'est ce qui ressort de nos auditions.
Il ne faut pas dramatiser et généraliser ce qui, plus qu'un sentiment antifrançais, est bien un rejet de la France, mais il ne faut pas, à l'inverse sous-estimer ce rejet, car un phénomène de viralisation existe, il couve, et il est opportunément attisé par certains de nos compétiteurs. Il nous faut donc trouver un remède pour éviter une continentalisation du phénomène, une contagion à tout le continent.
Si la France donne le sentiment de ne pas avoir pris la juste mesure des mutations qui se sont opérées en Afrique, de ne pas avoir renouvelé en conséquence sa relation aux Africains, peut-on dire que nous n'avons pas vu monter cette désaffection ?
L'état des relations entre la France et l'Afrique fait suite à trente ans de politique non maîtrisée nous ayant conduits progressivement à un rôle subi et non choisi.
Cela fait vingt ans que l'on cherche à changer de logiciel sans y parvenir.
Paradoxalement en apparence, ou, tout au contraire, fort justement en profondeur, c'est effectivement avec l'Afrique francophone, l'Afrique de nos proximités, de nos affinités, de nos passions tumultueuses et lointaines que ce fossé s'est le plus nettement creusé. Au Mali, la présence militaire et la mission de l'opération Barkhane n'ont pas été expliquées et n'ont donc pas été bien comprises ; son retrait est intervenu trop tardivement et elle a été perçue sur la fin comme une force d'occupation ayant perdu sa légitimité.
Mais il existe des raisons plus profondes qui relèvent de la persistance d'un certain nombre d'irritants qu'il est temps d'expurger de notre relation à l'Afrique : politique humiliante de la délivrance des visas, franc CFA, comportements paternalistes ou arrogants. C'est enfin notre passé colonial qu'il faut savoir solder.
Ceci étant, rien n'est écrit, il n'y a pas de fatalité inéluctable, l'avenir d'une relation apurée rénovée est possible il nous appartient de le susciter.
Vous alertez sur une perte de “connaissances”, à quoi est-ce dû ?
Ce phénomène de perte de connaissances est un long processus qui a coïncidé avec la réforme de la coopération à la fin des années 1990. À l'époque, il y avait un ministère de la Coopération de plein exercice avec des hauts fonctionnaires spécialisés. Déjà à l'époque, pour sortir de la Françafrique, on l'a rattaché au ministère des Affaires étrangères.
S'en est suivie une perte d'expertise, de présence sur le terrain. Il y a trente ans il y avait 10 000 coopérants civils. Aujourd'hui, il y en a moins de 900 dont 600 en Afrique.
En parallèle, les coupes budgétaires ont directement affecté nos capacités diplomatiques. Ce n'est que depuis 2018, sous l'impulsion du président de la République et de Jean-Yves Le Drian, que nous avons inversé la tendance en réarmant progressivement notre diplomatie.
On peut ajouter le recul flagrant de notre effort cognitif et de recherche.
Paradoxalement, l'histoire africaine ne figure pas dans nos programmes d'enseignement.
J'ai en mémoire une interview du Roi Hassan II en 1989 à l'occasion de laquelle il eut ses mots sans appel : « on vous connaît mieux que vous nous connaissez. C'est à vous de renverser la vapeur et de faire le premier pas ». Non seulement nous ne l'avons pas écouté mais nous avons suivi le chemin inverse.
Quant aux moyens de rectifier le tir, nous proposons un certain nombre de pistes dans notre rapport valorisant des ressorts bien identifiés : comme le fait de constituer une filière « Afrique » au Quai d'Orsay et mieux préparer nos diplomates à leurs missions en incluant une meilleure compréhension des enjeux interculturels, organiser un séminaire avec les ambassadeurs en Afrique pour nourrir la stratégie Afrique et partager leurs expériences ou encore nommer des diplomates afro-descendants, ou encore apprendre l'Afrique d'aujourd'hui à l'école etc.
Votre rapport met l'accent sur le narratif. Pourquoi est-ce devenu un élément essentiel dans cette relation ? Et quels outils peuvent aider alors que la guerre informationnelle fait rage ?
Pour reprendre le contrôle, il nous faut une stratégie claire et mettre des moyens sur nos avantages comparatifs et ils sont nombreux.
Aujourd'hui, nous sommes au mieux en réaction. Mais il nous arrive aussi de ne pas communiquer ou nous défendre. Par exemple, en dix ans, Barkhane n'a pas produit un seul reportage pour les médias locaux et expliquer ainsi notre action. De même, nous avons réagi très tardivement au phénomène russe de désinformation qui nous cause beaucoup de préjudice.
S'agissant de notre narratif, la France devrait, en premier lieu, reconnaître qu'elle dispose d'intérêts en Afrique, comme le font nos compétiteurs sans fausse pudeur. Il est nécessaire de ne plus chercher à les minimiser mais de les assumer, afin de désamorcer, en amont, les théories complotistes qui alimentent le fantasme des agendas cachés.
J'adhère enfin pleinement au choix stratégique et éthique de la France qui consiste à ne pas s'approprier les outils de désinformation de certains pays concurrents comme la Russie.