Marc Fesneau : « Que chacun cesse d'avoir en ligne de mire son agenda personnel en vue de 2027 »

Marc Fesneau

Dans un entretien accordé au Point, Marc Fesneau, président du groupe Les Démocrates à l'Assemblée et premier vice-président du MoDem, indique qu'il faut d'urgence sortir du bal des ego qui mine le « socle commun » de Barnier et « être utile aux Français ».

Le Point : L'Assemblée a rejeté le volet recettes du projet de loi de finances 2025. Le texte dans sa version initiale va donc être examiné au Sénat. Quel regard portez-vous sur cette chaotique séquence budgétaire ?

Marc Fesneau : À ce stade, on ne peut pas être rassurés compte tenu des votes des oppositions. Michel Barnier proposait au départ 40 milliards d'économies, 20 milliards de fiscalité. C'était un équilibre dans lequel nous pouvions nous retrouver, dès lors que l'effort était juste, et que cela préservait la compétitivité des TPE-PME.

Résultat des courses : 50 milliards de fiscalité et 60 milliards de dépenses ! Tout ça est grotesque, irresponsable et surtout grave.

Que Jean-Luc Mélenchon et son orchestre alliés à Marine Le Pen pour les circonstances agissent ainsi, c'est une chose et c'est attendu. Mais que les socialistes, des modérés du NFP, se prêtent à la même duperie sous les hourras de la foule est désespérant.

Notamment de la part de personnalités dont je considère, qu'un jour, elles seront appelées à gouverner ! J'appelle chacun à faire un effort sur lui-même.

On découvre, dans ce pays, les nécessités et les contingences de la coalition, pour la première fois. Ce n'est rien de moins qu'une absolue révolution copernicienne à mener.

Le monde politique va devoir apprendre à vivre dans un système où même lorsque l'on n'est pas d'accord avec l'autre, on doit rechercher le compromis, sans vivre avec l'obsession d'écraser son homologue sous prétexte que l'on pense différemment de lui. Or, la construction de nos débats budgétaires a mis tristement en lumière l'impuissance collective à laquelle conduisent les postures : plutôt que de nous essayer à des terrains d'entente pour trouver une majorité autour du projet de loi de finances, chaque groupe politique a préféré bâtir jour après jour les conditions pour que ce texte soit rejeté.

Étiez-vous au courant de l'arbitrage concernant la revalorisation des retraites, annoncé par Laurent Wauquiez, chef de file des députés Droite républicaine (DR) ? N'est-ce pas incompatible avec la nécessité de trouver 60 milliards d'économies ?

Sur le fond, plusieurs groupes - dont le nôtre - portaient des mesures de protection pour les retraités les plus fragiles, en préservant les petites retraites tout en appelant à davantage de solidarité de la part des retraités les plus aisés. Que cela avance positivement est donc une bonne chose mais la mesure devra être améliorée parce que l'effort demandé aux retraités les plus fragiles reste trop fort. Et il nous faudra par ailleurs concrètement trouver l'équilibre budgétaire.

La seule chose qui doit nous guider, c'est de répondre aux préoccupations des Français, pas de tirer la couverture à soi.

Sur la forme, on n'a jamais intérêt, quand on essaye de faire vivre un collectif, de s'arroger des victoires personnelles quand c'est le collectif qui devrait s'imposer à tous et que c'est le fruit d'un équilibre commun. C'est contraire à l'idée que nous nous faisons au MoDem de l'engagement politique et nous ne nous y livrerons jamais pour une raison simple : ce n'est pas à la hauteur du moment.

Vous êtes confrontés à un problème de lisibilité de votre offre politique. On ne comprend pas bien la cohérence de ce « socle commun ».

Votre affirmation est vraie, à cette heure. Au sein de ce qu'on appelle le « socle commun », c'est-à-dire les LR et la majorité sortante, nous avons été élus les uns contre les autres et nous nous sommes combattus ces sept dernières années.

La configuration est d'autant plus baroque que les députés de droite sont les seuls à ne pas avoir participé au front républicain.

Mais nous devons dépasser cela au service du pays. Ceux qui sont aujourd'hui autour de la table de Michel Barnier doivent se dire ce sur quoi ils sont d'accord et assumer leurs désaccords, pour mieux avancer ensemble sur des priorités. Car si nous avions été d'accord sur tout, nous aurions été ensemble depuis 2017 !

Le grand malentendu tient au fait que nous faisons semblant d'être en phase sur tout. Mais ce n'est pas un drame que tel ne soit pas le cas !

Par le passé, des personnes qui n'étaient pas d'accord sur grand-chose ont quand même pu s'entendre pour trouver des points de convergence et faire avancer le pays. Je pense à Poincaré en 1926 ou de Gaulle en 1944. Si nous ne sommes que dans l'immédiateté, les populistes gagneront. Il faut conjuguer la réponse à des sujets très concrets pour les citoyens et la mise en perspective pour donner une cohérence de long terme à notre action.

(...)

Est-ce que cela signifie que vous faites un constat d'échec du « socle commun » ?

Non. Pour le moment, nous pouvons dire que cela ne fonctionne pas comme cela devrait, loin de là.

Chacun joue son bilan d'opposant ou son bilan de majorité. Ce n'est pas un drame, et c'est même normal. Mais il faut en sortir. Il y a des tensions, mais je crois qu'on peut y arriver. Sous réserve que la volonté existe.

Le drame serait qu'on n'arrive pas à avancer dans cette période cruciale pour notre pays : au sein de nos frontières, les Français attendent qu'on se hisse à la hauteur de la situation qu'ils vivent ; à nos portes, l'élection de Donald Trump , la concurrence chinoise, la guerre en Ukraine ne vont, à l'inverse, pas nous attendre. Au MoDem, nous ferons tout pour être utiles, sans arrière-pensées. Cela nécessite que chacun cesse d'avoir en ligne de mire son agenda personnel en vue de l'élection présidentielle de 2027, par exemple.

La question n'est pas de tirer la couverture à soi, c'est d'être utile aux Français, de répondre à leurs préoccupations et de se respecter. Toute démarche individuelle est vouée à l'échec.

Ce sont donc les ambitions de Gabriel Attal et de Laurent Wauquiez qui minent l'alliance entre le bloc central et la Droite républicaine ?

L'ambition ne doit pas rendre aveugle : en tant que soutiens du gouvernement Barnier, il ne faut pas être obnubilé par la recherche de popularité. Si on ne veut être que populaires, on finit avec les populistes. Gouverner, c'est assumer des positions difficiles car nécessaires et donner des perspectives.

Cette configuration parlementaire est-elle durable ?

Michel Barnier a raison de vouloir s'inscrire dans le temps long. Les Français nous en voudraient de ne rien faire face à leurs problèmes, et ils auraient raison.

Pour ma part, je ne vois aucun intérêt à une nouvelle dissolution.

Je crois assez crédible que la configuration politique actuelle puisse durer plus longtemps que ce que l'on croit. Car il n'y a pas d'alternative. Chacun doit faire l'effort de s'extraire de l'immédiateté et de l'échéance suivante qui mènent au « chacun pour soi ».

La pratique du compromis ne va pas de soi...

Nous n'avons pas la culture du compromis en France. L'arrivée d'Emmanuel Macron - avec le soutien de François Bayrou - a été une aventure heureuse, celle de l'arrivée au pouvoir des modérés. Mais le fait que des centristes permettent à des modérés de gauche comme de droite de se rejoindre en 2017 a pu être perçu, et parfois voulu, comme un effacement des deux rives. C'était une erreur.

Moi, je considère au contraire qu'il y a une droite, qu'il y a une gauche, qu'il y a un centre. Le centre est le point de convergence.

En France, on cultive le côté « blanc ou noir », « droite ou gauche ». Nous sommes la seule démocratie mondiale qui ne supporte pas l'idée que le réel mérite d'être abordé sans dogmatisme ! Peut-être faut-il aller chercher les explications dans nos tréfonds révolutionnaires. C'est comme si nous n'étions pas suffisamment solides sur nos convictions pour être capables de tendre la main.

Le refus du compromis est l'apanage des faibles. Car le fort sait faire le compromis. Vous ne faites pas la paix avec vos amis, vous faites la paix avec vos adversaires. Parler avec Bernard Cazeneuve ou avec Michel Barnier ne remet pas en cause ce que je pense et n'affaiblit pas mes convictions : l'ouverture à l'autre, dans un monde en mal de nuance, est une façon de considérer qu'aucun responsable politique n'a raison tout seul.

Que préconisez-vous pour changer de logique ?

Nous devons déterminer sur quels textes nous pouvons avancer ensemble, par exemple sur la lutte contre le narcotrafic ou sur la fin de vie.

Cette discussion que nous n'avons pas eue au départ, nous devons l'avoir en cours de route. Mais il faut trouver des process de rationalisation de nos débats sans passer par un changement ni du règlement de l'Assemblée ni de la Constitution. Je vais prendre des initiatives en ce sens, pour avoir des travaux qui renforcent la force de notre Parlement plutôt que de renvoyer une image d'impuissance ou d'inutilité.

Rendez-vous compte que, aujourd'hui, des oppositions en viennent à nous réclamer le 49.3 !

Tout le monde assiste à la disparition de la démocratie parlementaire et tout le monde applaudit, sauf dans l'espace central. Il faut que l'on se ressaisisse !

De François Hollande ou Jérôme Guedj en passant par Cyrielle Chatelain, il est des députés à gauche eux aussi sensibles à ce risque.

Quels enseignements tirez-vous du résultat de l'élection présidentielle américaine ?

La victoire du populisme survient quand les thèmes des populistes s'imposent et quand ils font écho à un ressenti des citoyens. Dès 2016, puis en 2020 et en 2024, Donald Trump a imposé les thèmes de campagne : l'immigration, America First, l'inflation, la vie quotidienne, l'identité profonde de l'Amérique. Ces sujets l'ont emporté sur d'autres, sans doute trop vécus comme abstraits ou loin des réalités vécues.

Et les démocrates, y compris malheureusement Joe Biden, se sont laissés aller au caniveau avec les populistes. Sauf que, quand on abaisse ainsi le débat public, on accrédite les thèses et on fait gagner les populistes !

Donald Trump a su parler au coeur des gens, ce que les modérés doivent aussi faire. Et ce n'est pas antinomique avec la défense de grands principes !

Comment résister au populisme, qui s'installe comme une tendance de fond, y compris dans nos démocraties libérales ?

Ce n'est pas parce qu'on est raisonnable qu'il ne faut pas essayer de parler aux émotions des citoyens et chercher à percevoir et exprimer ce qu'ils vivent. Si on n'y arrive pas, on peut vite paraître méprisant.

La population doit trouver un écho à la colère, aux problèmes rencontrés. Il faut parler à l'esprit de résistance des gens. On peut tout à la fois être rationnel et toucher le coeur des Français. À condition de savoir mettre des mots sur les maux !

Les gens en ont marre qu'on leur dise : « Il faut que vous soyez raisonnables. » D'autant plus qu'il y a un mouvement de délégitimation des élites, quelles qu'elles soient. C'est aussi une question d'attitude.

Il y a des sujets dont s'emparent les populistes que nous devons résoudre, sans tomber dans leurs travers. Je pense à l'État de droit, aux problématiques régaliennes, au sentiment d'impuissance publique sur l'immigration ou la sécurité... Et pour cela inutile de tomber dans les discours ou la rhétorique entendus parfois lors d'années sombres d'avant-guerre, comme certains s'y sont livrés, ce que je regrette.

Veillons à nos mots et agissons surtout avec la force des valeurs de la République.

Lire l'entretien complet dans Le Point.

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