"Ceux qui considèrent l'Europe comme vitale doivent accepter de se rapprocher"

Pour François Bayrou, les propos d'Arnaud Montebourg sur José Manuel Barroso témoignent d'une "perversion française qui consiste à faire un ennemi de quelqu'un avec qui on est en désaccord". Le dirigeant centriste appelle les pro-européens à "préparer en commun le combat qu'il va falloir conduire" contre ceux qui font de l'Europe "leur bouc émissaire".

Public Sénat - Nous allons parler de votre engagement européen et de votre appel il y a quelques jours qui se heurte à un euroscepticisme croissant illustré cette semaine par un nouveau clash entre Paris et Bruxelles. Est-ce que vous pensez que l’on peut encore échapper à un raz-de-marée des eurosceptiques lors de la prochaine élection européenne ?

François Bayrou - Oui. Cela ne dépend que d’une seule chose : est-ce que ceux qui croient l’Europe vitale pour notre pays sont capables de se battre ou seulement de courber le dos, d’être honteux, de chercher des stratégies de fuite, d’être d’une certaine manière des renégats de ce qui a été l’idée fondamentale de notre Nation pendant soixante ans ? C’est cette idée fondamentale qui a fait de la France ce qu’elle est. Si vous remontez le temps, chaque fois que la France a été isolée, fermée, elle s’est effondrée. Bien sûr qu’il y a une vague d’euroscepticisme, ou même de colère contre l’Europe. Très souvent c’est d’ailleurs parce qu’il y a la recherche d’un responsable, d’un bouc émissaire, de quelqu’un qu’on peut mettre en accusation, alors qu’il ne porte aucune responsabilité. Quel est le responsable des problèmes de la France ? Pour moi, le responsable des problèmes de la France, c’est la France. Ce n’est pas parce que l’Europe existe, et qu’elle réunit des pays qui cherchent ensemble un chemin, que nous n’apprenons pas à lire à nos enfants, que nous avons de l’insécurité dans nos quartiers, que l’intégration ne marche pas.

C’est un disque qu’on entend souvent, que c’est à cause de l’Europe que la croissance n’est pas là. 

Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas parce que l’Europe existe que les promesses des politiques sont illusoires. Ce n’est pas parce que l’Europe existe qu’il y a de la corruption dans la vie politique française. Au contraire, d’une certaine manière, l’Europe essaie comme elle peut, pas toujours idéalement, de lutter contre. Mais vous voyez bien à quel point c’est une diversion. Au fond, le Parti socialiste aujourd’hui, et un certain nombre de membres du gouvernement, que font-ils ? Ils cherchent à détourner l’attention des responsabilités qui doivent être les leurs. On ne peut pas dire que depuis un an la situation économique du pays se soit améliorée, n’est-ce pas ? Ils cherchent à détourner l’attention et à préparer un combat électoral qui est une nouvelle fois caricatural et qui chercherait à expliquer que le vrai combat c’est, en Europe, la gauche contre la droite. C’est complètement faux. La seule question qui se pose à notre pays, Michel Barnier vient de le dire à sa manière, c’est : est-ce que nous sommes capables, nous Français, de réparer les dégâts que nous avons laissé se faire ? Est-ce que nous sommes capables de reconstruire ce qui doit l’être ? Ma réponse c’est que nous en sommes capables, à condition qu’il y ait une prise de conscience et une volonté qui se forment. Ces phrases sont faites pour empêcher la prise de conscience et la volonté de se former. 

Les eurosceptiques ne sont plus seulement à l’extrême-droite ou au Front de gauche, on les trouve aujourd’hui à l’UMP, au PS… 

Bien sûr, je n’ai aucun doute de ce point de vue. C’est précisément pour cela que j’ai lancé cet appel en disant qu’il va falloir que ceux qui considèrent que cette question est vitale pour la France acceptent de se rapprocher les uns des autres et de préparer en commun le combat qu’il va falloir conduire. Je suis persuadé de cela, comme vous le savez c’est mon idée fondamentale depuis des années. 

Oui, on en revient à votre idée fondamentale. 

Il est impossible, pour formuler cette idée de fond, d’apporter les réponses, de porter les réformes, de convaincre autour des réformes qui s’imposent pour la France, avec les majorités déchirées et antagonistes que nous avons. À gauche, il y a au moins la moitié de ceux qui la représentent qui sont contre l’idée européenne et les réformes, et à droite il y a plus de la moitié aujourd’hui à être contre.

Mais on peut aussi citer des gens qui sont pro-européens comme vous, Alain Juppé par exemple. Il dit qu’il y en a assez de la vision de Barroso, une concurrence sans frontières. On entend aussi Jean-Marc Ayrault, très européen, qui dit qu’il n’est pas un "béni-oui-oui" de l’Europe. 

Il a raison. Je ne défends pas José Manuel Barroso. Chaque fois, mes amis ont voté contre son investiture. C’est quelqu’un de très intelligent, comme vous le savez c’est un ancien maoïste qui parle très bien notre langue, qui comprend les sujets, qui est plutôt sur le versant ultra-libéral, mais je ne crois pas que ce soit là le sujet. Il s’est exprimé de manière très regrettable dans cette affaire de l’exception culturelle parce qu’il faut qu’ils comprennent, Barroso et les autres, que l’exception culturelle est notre choix national. Nous n’allons pas mettre sur le même plan ceux qui peuvent produire un film pour 1,5 milliard de personnes parce qu’il est en anglais, et nous qui n’avons que quelques 150 ou 200 millions de locuteurs. Vous voyez bien que ce n’est pas la même chose. De la même manière, nous avons bien eu raison, c’est Jack Lang qui l’a fait, de faire le prix unique du livre. Ça veut dire que, que vous soyez la petite librairie de quartier ou une grande surface, vous n’avez pas droit de faire du dumping sur le prix du livre, parce qu’autrement ça tue le circuit de distribution de proximité. Qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? J’ai eu l’occasion de le défendre dans un discours samedi. Pour nous, c’est une valeur fondamentale que la quantité ne l’emporte pas sur la qualité.

Donc vous comprenez, d’une certaine manière, les réactions de défiance d’un certain nombre d’hommes politiques français ? 

Je les ai formulées moi-même.

Vous seriez content de voir partir José Manuel Barroso ? 

Je ne veux pas faire de personnalisation, je ne veux pas personnaliser les choses. Chaque fois que l’on présente quelqu’un comme un démon, je me méfie.

Qu’est-ce qu’il représente pour vous, José Manuel Barroso ? C’est le libéralisme ? C’est la technocratie européenne ? 

Je le connais depuis très longtemps, depuis le temps où il était un jeune homme politique d’opposition dans son pays, depuis le temps où il a été Premier ministre du Portugal sur une ligne qui n’est pas la mienne puisqu’il était atlantiste. Il a été pour la guerre en Irak, il a été l’un de ces chefs de gouvernement qui étaient alignés sur le tarmac avec Berlusconi, Tony Blair et Aznar pour expliquer qu’il fallait aller derrière les Américains en Irak. Comme vous le savez, je suis monté à la tribune, moi qui étais en délicatesse avec Jacques Chirac, pour dire qu’il avait raison et pour soutenir la position qui était la sienne, y compris contre un certain nombre de mes amis. Donc, Barroso c’est cette ligne-là, plutôt du côté des plus forts. Cependant, je ne veux pas qu’on le présente comme quelqu’un qui n’aurait que du vice à l’intérieur de lui, parce que ce n’est pas vrai. C’est un homme politique de premier plan, peut-être jouera-t-il d’ailleurs un rôle dans l’avenir de son pays, à nouveau à l’avenir. Mettons-nous ça en tête, nous pouvons avoir des débats, des désaccords, des conflits, des controverses, pour autant il n’est pas nécessaire d’insulter. Cette perversion française, qui consiste à chercher à faire un ennemi personnel de quelqu’un avec qui on est simplement en désaccord, c’est une des faiblesses de notre pays. C’est pour cela que notre vie politique est tellement nulle, caricaturale, désespérante, et c’est pourquoi les électeurs s’en séparent. Regardez, quand vous voyez les questions d’actualité sur votre écran, vous voyez bien que ce sont des jeux tout ça, des jeux de rôles. C’est la mise en scène de conflits pour qu’on ne parle pas de l’impuissance politique.

Il y a des questions de fond derrière.

Alors faisons-en des sujets d’affrontement.

Est-ce que vous êtes, vous, personnellement, plutôt pour une politique de libre-circulation des hommes, des idées, des marchandises, ou est-ce que vous êtes plutôt pour une Europe protectrice, qui se protège derrière ses frontières ? C’est un peu ça le débat qu’il y a derrière.

Il faut les deux. Si vous croyez que la protection absolue est un progrès, regardez l’histoire de France. On a fait du protectionnisme dans les années 1930 en France en matière agricole. A quel résultat est-on arrivé ? À la veille de la guerre, l’agriculture française n’arrivait plus à nourrir la France. Si d’ailleurs la fermeture avait été un sujet de succès, l’Allemagne de l’est aurait dominé l’Allemagne de l’ouest. C’est quelque chose de fascinant, on ne réfléchit jamais. Vous prenez le même pays en 1945, dans le même état hélas, avec le même peuple – en tout cas on ne peut pas dire que le peuple de l’est était inférieur au peuple de l’ouest en Allemagne –, vous mettez la protection et la fermeture d’un côté et l’ouverture de l’autre, vous revenez 45 ans après, qu’est-ce que vous trouvez ? D’un côté le développement et la liberté, de l’autre la servitude et l’effondrement économique. Ce n’est pas une thèse, ce que je raconte, c’est la vérité des choses. Que nous ayons en France une gauche qui veuille, comme l’extrême-droite – parce que ce qu’a dit Barroso est vrai, la thèse est la même pour l’extrême-droite et pour l’extrême-gauche, ou pour la gauche parce qu’il y a une partie du PS qui est aussi sur cette ligne –, nous expliquer qu’il faut en revenir à cela, pour moi c’est désespérant.

Qu’est-ce que vous diriez à ceux qui sont aujourd’hui sceptiques par rapport à la construction européenne ? Si vous aviez trois arguments à mettre en avant pour les convaincre, ce serait quoi ?

Essayons de le faire sans simplification excessive, nous serions trop loin de l’enjeu. Je vais vous dire ce que je crois. Premièrement, si la France se retrouve amputée et du soutien et des forces que l’Europe lui donne, ce sera un désastre national. Mais ça ne suffit pas de mettre en valeur les menaces et les risques. Il faut aussi quelque chose qui soit du côté de l’élan, de la foi si je voulais employer un mot sans connotation, de l’enthousiasme, quelque chose qui donne envie de vivre. Ça donne envie de vivre que de partager avec les peuples qui nous entourent. Moi j’ai maintenant un petit-fils belge, mes enfants vivent assez souvent en Italie, dans le monde anglo-saxon… Il en est de même pour les enfants de tout le monde, dans toutes les familles. L’idée qu’on va remettre des postes-frontières à la frontière espagnole, c’est une idée anachronique. L’Europe est une nécessité mais elle est pour nous une occasion de montrer ce que la France peut faire, c’est ça que je défendrai. La France, non seulement elle est plus forte avec l’Europe, bien sûr, mais ça vaut la peine. Il y a une affaire de valeurs derrière tout ça, une affaire de liberté, de culture, de protection des petits contre les gros. Qu’est-ce que c’est l’Europe dans le monde ? C’est l’organisation politique d’États, à la tête de peuples qui ont une force économique, qui vient dire : "Avec nous, les forts n’écraseront pas les faibles".

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