📺 Revoir François Bayrou, invité d'Apolline de Malherbe dans "BFM Politique"
François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, était l'invité d'Apolline de Malherbe sur BFM TV, ce dimanche 24 mai, dans l'émission BFM Politique. Il a répondu aux questions d'Apolline de Malherbe (BFM TV), d'Henri Vernet (Le Parisien) et d'Emmanuel Lechypre (BFM Business).
Retrouvez ci-dessous quelques extraits de l'émission :
Retrouvez ci-dessous la retranscription de l'émission :
Bonjour, François Bayrou.
Bonjour.
Nous allons évoquer avec vous non seulement la crise sanitaire que nous venons de traverser, mais aussi les crises économique, sociale et, peut-être demain, politique qui font suite à cet état de sidération dont sort la France.
Avant de vous interroger sur les mesures sans doute économiques qui seront nécessaires, mais également d'organisation même de la France et de ses principales institutions, un mot sur les propos de Gérald Darmanin dans le Journal du dimanche. Il est Ministre des Comptes publics. Il réclame une politique pour le peuple. Il a raison.
Cela signifie-t-il que, jusqu'à présent et depuis le début du quinquennat, la politique menée n'était pas forcément faite pour le peuple ?
Ce qui s'est passé depuis le début du quinquennat tout le monde en voit bien les résultats. Il y a eu un effort de redressement qui a fait que le chômage était en train de baisser et il y a une attente qui, pour l'instant, n'a pas trouvé de réponse et cette attente est, à mes yeux, double. La première, c'est que la France, notre pays retrouve une faculté de réagir vite, d'agir vite, d'être capable de relever les défis qui sont les siens et c'est probablement une question d'organisation de son pouvoir, de sa société.
La deuxième, c'est l'attente que toutes les catégories de la population, toutes les catégories sociales se sentent associées à cet effort.
Je ne sais pas ce que l'on veut appeler « le peuple ». Pour moi, le peuple, ce sont tous les Français, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent. Il y a des Français qui sont en effet travailleurs, salariés, retraités, avec des petits revenus et il faut que ceux-là également soient naturellement associés à cela. Il y a des propositions, des projets sur ce sujet, que j'avais formulés à d'autres élections présidentielles.
Tout au long de cette émission, nous allons essayer de comprendre quelles sont les mesures les plus concrètes possibles pour la vie des Français et répondre à leurs attentes, mais, tout de même, dire, lorsque l'on est dans un Gouvernement en action, aux manettes, qu'il faut une politique pour le peuple, cela signifie-t-il qu'il faut vraiment le dire, car ce n'était pas le cas ?
J'imagine que tout cela traduit des attentes, parfois des insatisfactions, parfois des exigences. Il y a toujours dans un Gouvernement, surtout dans les périodes de transition, des prises de position qui sont des déclarations dont on voit très bien le sens.
Une offre de services, vous voulez dire !
Je n'emploie pas ce genre de mot, car cela appartient à un autre vocabulaire.
Vous voyez bien que tout cela signifie, en effet, que c'est l'étape nouvelle que le Président de la République a définie en disant : "Il faut que l'on change et il faut que je change". Cette étape nouvelle, il est du devoir de tous ceux qui sentent la gravité de la situation d'y prendre leur part.
Alors, qu'il y ait des offres nombreuses pour porter cette étape nouvelle, c'est très bien. Cela prouve que la conscience progresse, mais j'imagine que ne seraient pas restées au Gouvernement des personnes qui considéreraient qu'avant, la politique n'était pas pour le peuple.
Simplement, l'urgence et l'exigence de l'heure sont évidemment plus grandes.
Vous-mêmes, vous pourriez être, à votre place, quelqu'un qui compte dans cette nouvelle étape ? Vous aussi, vous feriez des "offres de services", même si vous n'employez pas ce terme ?
Je n'ai jamais regardé l'avenir en pensant à moi-même, en pensant à ma personne ou à ma carrière. Il y a - si vous me le permettez de le dire - un bail que je ne pense plus en termes de carrière et, par ailleurs, je suis, comme vous le voyez sur l'écran, enraciné dans une ville dont j'ai la responsabilité et avec laquelle je me sens absolument en phase.
Pour le reste, je suis Président d'un courant important dans le pays, qui est important depuis longtemps et qui est important dans la majorité et, à la tête de ce courant-là, oui, je ferai tout ce que je peux pour que le pays assume les défis qui sont posés devant lui aujourd'hui.
Tout à l'heure, Apolline de Malherbe, vous évoquiez cette sidération dont la France a été saisie. La vérité, ce n'est pas que la France seule a été saisie. C'est la première fois dans l'histoire des hommes qu'un événement bloque, congèle la totalité de la planète en même temps et dans un moment où, comme vous le savez, les échanges de marchandises, de données numériques, de capitaux et donc de femmes et d'hommes, ces échanges n'ont jamais été aussi importants.
C'est ce qui fait que l'événement que nous avons devant nous est absolument sans précédent. Il est sans précédent dans sa réalisation, dans sa réalité, mais surtout sans précédent dans ses conséquences. Il est très important de prendre la mesure de cela.
Il faut prendre cette mesure, mais aussi celle de ce qui est fait en termes de politique économique.
Nous voyons bien que nous allons laisser filer la dette. Vous avez toujours été très vigilant. Au cours de vos campagnes présidentielles, vous avez toujours alerté sur le danger de la dette. Considérez-vous qu'aujourd'hui, avec les grandes banques centrales qui rachètent la dette de grands États, ce n'est plus un problème et que l'on peut laisser filer les déficits ?
Sinon, lorsque Gérald Darmanin indique qu'il n'augmentera pas les impôts, n'est-ce pas un peu présomptueux et, s'il fallait finir par augmenter les impôts, envisageriez-vous de nouvelles taxations ? Faudrait-il rétablir l'ISF ?
Qui mettriez-vous à contribution ?
Je suis toujours battu contre la dette improductive, contre la dette de fonctionnement, pour les dépenses de tous les jours. Je trouvais anormal que ces dépenses de tous les jours, y compris les dépenses sociales, quotidiennes, nous les fassions porter aux générations futures.
Je me suis beaucoup battu sur ce sujet, sans être toujours entendu par tout le monde, comme vous savez.
Pourquoi est-ce que je plaidais cette rigueur ? Pour que nous puissions agir si une situation grave se présentait. Les États bien gérés, ce sont des États qui font des économies quand cela va bien, pour pouvoir agir massivement quand cela va mal.
De ce point de vue, en effet, nous n'avons pas été, gouvernements après gouvernements, sans aucune exception au travers du temps, depuis vingt ou vingt-cinq ans, à la hauteur de cette exigence.
Estimez-vous que cette dette que nous sommes en train de créer aujourd'hui est acceptable ?
Je pense que cette dette due au Coronavirus doit être traitée et regardée de manière différente des autres.
Pourquoi ? Tout d'abord, le Coronavirus, personne n'en est responsable. D'habitude, les États qui font des dettes, c'est parcequ’ils ne sont pas très bien gérés ou qu'ils n'ont pas su organiser leur société et qu'ils sont obligés de tirer des chèques en blanc !
Ce n'est pas du tout le cas de la situation dans laquelle nous sommes. Aucun État, aucun pays n'est responsable de cette épidémie, même pas la Chine, contrairement à ce que certains disent.
Ces dettes-là, on les laisse à la Banque centrale européenne ? On la met au congélateur et on n'en parle plus ?
Si vous me le permettez, je vais aller jusqu'au bout de mon idée.
Tout d'abord, il ne faut pas traiter cette dette comme les autres. Il faut l'isoler. Le verbe que j'emploie, c'est cantonner. Il faut la cantonner, la définir précisément, savoir quel est son périmètre, ne pas en profiter pour mélanger des dettes antérieures avec cette dette-là et il faut la traiter avec la Banque centrale européenne, avec ce que je propose, à savoir un différé d'amortissement de dix ans.
Cela ne signifie pas que les États se défont de leurs responsabilités. Je crois le contraire. Il faut que nous assumions les dépenses que nous allons effectuer pour la société française, pour faire repartir la société, comme les autres États doivent faire repartir leur propre société.
En effet, il y a une coresponsabilité.
Cela nous dispensera-t-il d'une augmentation de la fiscalité ou de nouveaux arbitrages de la fiscalité ? En effet, même s'il n'y a pas de problème du niveau des recettes, il y a un problème de solidarité nouvelle. Il y a beaucoup de revendication pour rétablir l'impôt sur la fortune.
Ne faut-il pas envisager une forme de contributions des plus aisés à cet effort nouveau de solidarité ?
Selon moi, prendre la question par cet angle, c'est la prendre mal. La question principale, celle qui doit dominer tous nos échanges est la suivante : de quelle manière faire repartir l'activité du pays ?
Je ne crois pas que les impôts soient la bonne manière de faire repartir l'activité du pays. Au contraire, assommer une société d'impôts nouveaux, alors que nous sommes le pays le plus fiscalisé de tous ceux qui nous ressemblent, assommer une société d'impôts nouveaux, c'est l'empêcher de repartir. La question que nous devons traiter de manière obsessionnelle, c'est rétablir la vitalité, l'activité, l'inventivité et la créativité de la France.
Ce pour quoi nous sommes dans une situation délicate, y compris en termes de commerce extérieur, c'est parce que nous n'avons pas établi cette vitalité du pays comme nous aurions dû le faire et parce que nous avons laissé partir un certain nombre de centres d'activités et de décisions au travers du temps.
La France s'est, de ce point de vue, affaiblie et c'est la raison pour laquelle, j'insiste - ce sera mon dernier mot sur le sujet - sur le fait qu'il nous faut renouer avec l'obligation - autrefois, le Général de Gaulle évoquait l'ardente obligation - de prévoir et de se fixer des objectifs.
Le marché tout seul ne peut pas répondre aux impératifs d'une Nation. Il faut qu'une Nation soit capable de donner sa liberté et sa créativité au marché et, en même temps, qu'elle soit capable de dire : "Voilà les objectifs que nous nous fixons, voilà ce que nous voulons atteindre en termes, par exemple, d'autonomie, de souveraineté sur un certain nombre de productions".
Nous venons de le voir, nous ne pouvons pas abandonner la production de médicaments et baisser les bras sur quelque chose de vital si un pépin arrive dans une société.
Production et question de l'emploi : le dispositif d'accompagnement du chômage partiel va commencer à être réduit progressivement dans quelques jours, en juin.
Estimez-vous qu'il faille un maintien exceptionnel ? De manière plus générale, faut-il que le Gouvernement trouve des moyens de contrainte en matière d'emploi par rapport aux entreprises ?
Je n'ai jamais beaucoup cru à la contrainte et à son efficacité. Je pense que c'est un sujet que nous devrons partager du point de vue national, à savoir les entreprises, les organisations professionnelles, les syndicats, le Gouvernement et, grosso modo, la société française.
En effet, nous sommes dans un moment où il faut préserver notre outil de production, nos entreprises et l'emploi. Je pense - tout le monde pense à eux - aux restaurants, aux bars, aux artisans, à un certain nombre de commerçants et je pense évidemment aux grandes entreprises pour qu'elles ne saisissent pas, ou qu'en tout cas, cette situation ne soit pas, pour elles, l'occasion de destruction d'emplois comme nous pourrions le craindre.
Nous avons eu, cette semaine, un peu les passes d'armes traditionnelles entre une entreprise en difficulté, Renault, qui dit qu'elle est contrainte de restructurer ses usines et un Gouvernement qui dit : "Attendez, nous n'aiderons pas sans conditions, nous ferons tout pour que les usines ne ferment pas et nous allons mettre Flins sous surveillance", etc.
N'est-ce pas un peu le vieux monde ? Rappelez-vous Lionel Jospin. Il avait beaucoup souffert de cette fameuse phrase : "L'État ne peut pas tout".
Qu'attendriez-vous, par exemple, de l'État pour aider véritablement Renault ?
Pour aider Renault, vous me permettrez de ne pas me déclarer compétent étant donné la précision de ce sujet.
Qu'attendez-vous de l'État actionnaire ?
L'État actionnaire, j'attends qu'il joue son rôle et, celui-ci, je le définis en quatre mots : "Gouverner, c'est prévoir", c'est-à-dire une capacité à voir les risques qui se présentent dans l'avenir et dieu sait qu'ils sont importants - je pense aux transports aériens, au tourisme, à l'automobile - et que l'État, avec les entreprises, définisse ce que doit être l'attitude de l'État et de la puissance publique dans un moment aussi grave que celui que nous allons vivre.
C'est vrai pour les très grands, mais c'est vrai pour les très petits.
Vous me permettez d'avoir une préoccupation dirigée vers les plus petits, car le vrai tissu, en tout cas une part importante du tissu économique du pays, ce sont les petits. On se focalise toujours sur les très grandes entreprises avec un succès, comme on le sait, mitigé, mais la vérité est que les petits et les moyens, c'est cela l'essentiel ou en tout cas une part importante du tissu économique du pays.
Vous qui en voyez beaucoup à Pau, autour de vous, craignez-vous concrètement une hécatombe en matière de faillites et d'emplois dans les mois qui viennent.
Oui, je crains une situation critique. Je crains que beaucoup d'entreprises ne soient déstabilisées au point d'envisager de "baisser le rideau". Oui, je le crains franchement de ce point de vue, mais ce n'est pas seulement le cas en France. Regardez ce qui se passe en Italie, en Espagne, en Belgique ou autour de nous, en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Dieu sait que la situation sanitaire dans ces pays déborde sur la situation économique et la situation des entreprises. De ce point de vue, le Gouvernement a raison de dire que préserver, cela doit être un des verbes qui nous serve de ligne de conduite aujourd'hui, car, quand une entreprise baisse le rideau, après, pour repartir, c'est terriblement difficile.
[…]
Après ces deux mois de sidération, nous venons de parler de la situation économique. Un mot sur la situation sanitaire et la décision plus globale pour traverser et gérer cette crise.
Un mot sur la polémique qui repart sur l'hydroxychloroquine après la publication d'une étude dans la revue The Lancet.
S'agit-il de médecine ou de politique ? Avez-vous, vous-même, une position ?
Ma position, c'est que les médecins devraient se voir reconnaître une liberté de prescription réelle parce que c’est en conscience qu’ils décident de soigner. Ils lisent les publications scientifiques aussi bien que tous les spécialistes, et notamment que ces spécialistes récents que sont les journalistes et les politiques. Ils sont à même de faire leurs choix.
Nous sommes devant une maladie qui n'a pas de traitement clairement défini.
J'avoue que je ne comprends pas la guerre de religion autour d'un traitement médical proposé par les uns et rejeté par les autres. Cela ne devrait pas être une affaire de guerre de religion, cela ne devrait pas déchaîner des passions aussi agressives que celles qui sont là.
J'aurais tendance à dire : "Je fais confiance aux médecins. Ils sont formés pour cela, y compris les médecins de terrain". Je ne fais pas de différence entre les différents niveaux d'intervention médicale. Ils sont formés pour cela, ils ont une conscience, ils ont tous prêté le même serment.
J'aurais tendance à leur faire confiance devant une maladie qui n'a pas de traitement, car la médecine avance comme cela, par essais et corrections, lorsque l'on s'aperçoit que ce n'est pas juste.
Je suis toujours un peu mal à l'aise, lorsqu'une autorité supérieure, celle de l'État dit : "Voilà ce que vous devez prescrire et voilà ce que vous ne devrez pas prescrire".
Vous estimez, là encore et cela revient à vos propos sur l'organisation générale de la France, vous le disiez dès le début que c'était aussi un problème d'organisation.
Quand il y a, parlons très franchement, un médecin comme Didier Raoult qui parle de l'hydroxychloroquine, que, parmi des études différentes, certaines remettent en cause, par exemple, ce traitement et le Ministre de la Santé qui demande à l'autorité sanitaire du médicament de décider de manière centralisée de changer le protocole, vous estimez que c'est une prise de décision centralisée excessive ?
Je trouve que la société française souffre d'une centralisation excessive. C'est vrai pour la totalité de l'organisation administrative, y compris dans le domaine de la santé. C'est vrai dans la totalité de l'organisation de l'État. C'est vrai dans le rapport entre l'État et les collectivités locales. Tout cela, c'est le même syndrome et chacune des crises différentes est un symptôme.
Regardez ce qui vient de se passer dans cette épidémie. Nous avons découvert tout d'un coup qu'au fond, la ligne de défense la plus efficace, l'action la plus efficace, c'était celle décidée au plus près et, tout d'un coup, les Maires - j'en suis un, alors permettez que je m'exprime une seconde en leur nom - qui, hier, se voyaient bloqués, verrouillés, limités dans leurs actions par une autorité, tout d'un coup, les autorités supérieures ont été obligées de s'en remettre à l'action locale. Si nous avions attendu l'État pour avoir des masques, et bien nous aurions pu attendre longtemps et, encore aujourd'hui, nous n'en aurions pas.
À Pau, nous avons donné quatre masques réutilisables à chacun des Palois qui le souhaitaient.
Cette nécessité-là de faire confiance au terrain, c'est valable pour les collectivités locales, c'est valable pour les entreprises, c'est valable pour les médecins, à mes yeux, en tout cas.
Au-delà du débat sur le traitement, Didier Raoult relativise la pandémie. Il dit que nous avons paniqué, que nous en avons fait trop, que nous avons peut-être même été victimes de la peur elle-même, que nous ne supportons plus le risque.
A-t-il raison ?
Je pense qu'il y a du vrai dans ce qu'il dit, mais il se trompe sur un point, c'est qu'il n'y a pas un État moderne au XXIème siècle qui puisse affronter sans émotion, sans s'en faire, la disparition de centaines de milliers de ses citoyens. Personne !…
Dans chaque famille, l'émotion est telle que cela crée une vague de rejet pour les gouvernants s'ils ne font rien.
Regardez, Boris Johnson a essayé et qu'a-t-il été obligé de faire ? Il a été obligé, lui-même, de changer la politique qu'il avait définie et l'ironie de l'histoire, c'est qu'il a lui-même été atteint.
Qu'a fait Donald Trump ? Il a commencé en disant que tout cela n'avait aucune importance, que le pays pourrait bien le supporter et il a été obligé de changer sa politique.
Ceci se passe dans tous les pays.
Il y a des dictateurs, comme Jair Bolsonaro au Brésil, qui disent : "On s'en fiche", mais il n'y a pas un pays démocratique dans lequel un Gouvernement puisse dire à ses citoyens : "Des centaines de milliers d'entre vous vont mourir, mais ce n'est pas grave, nous n'avons pas à tenir compte de cela".
Sauf que nous n'en sommes pas à des centaines de milliers !
Nous en sommes heureusement à des chiffres plus limités, car il a été décidé d'un confinement le plus strict qui n'ait jamais été décidé, en tout cas de mémoire d'homme sur l'ensemble de la planète et cela a joué un très grand rôle pour ralentir ou arrêter l'épidémie.
C'est du bon sens.
Il existe un problème de réactivité dans les décisions prises et un problème de cohérence. Nous constatons aujourd'hui que, dans les zones rouges, les cérémonies religieuses sont à nouveau autorisées, que les centres commerciaux peuvent être ouverts, mais que les parcs et jardins sont toujours fermés.
Comprenez-vous un peu que les Français s'interrogent sur la cohérence de toutes ces décisions ?
Les Français, je ne sais pas, mais, moi, je m'interroge suit la cohérence. Cette histoire des parcs et jardins constitue, pour moi, une grande interrogation.
Les études se multiplient - la plus récente date d'il y a moins d'une semaine sur des dizaines de milliers de cas, il y a une étude en Chine, aux États-Unis - et aboutissent à un élément simple : 95 % des contaminations se font dans un lieu clos. Si vous avez des masques, alors le pourcentage de contamination est de 1 % ou 2 %.
Le plein air constitue donc une défense contre la contamination. Dans ce cas, pourquoi ne pas ouvrir les espaces les plus larges en vérifiant et en faisant attention à ce que l'on maintienne les distances de sécurité entre ceux qui visitent ces lieux-là ?
Franchement, ce n'est pas dans les parcs et jardins que l'on va rencontrer le plus grand risque épidémique. Le plus grand risque épidémique, c'est dans un lieu clos. Le Président de la République me racontait l'autre jour à quel point il avait été frappé par le fait que, sur le Charles de Gaulle, avec pourtant des recyclages d'air, des traitements, des filtrations, il y a eu plus de 30 % de contamination.
Il n'y a pas 30 % de contamination dans les parcs et jardins.
Si vous en parlez avec le Président, pourquoi les choses ne changent-elles pas ?
Car nous sommes une société, une organisation politique où ce n'est pas la voix d'un seul qui tranche contre tout le monde, contre les autorités sanitaires et contre le Gouvernement.
Tant mieux ou tant pis ?
Quelques fois, je souhaiterais que cela aille plus vite, mais je reconnais avoir peut-être, de ce point de vue, une faiblesse.
Le Gouvernement a la décision entre les mains, le Parlement a une partie de la décision entre les mains. Les autorités sanitaires ont une influence sur la décision.
Quoi qu'il en soit, il me semble que ce que je dis est de bon sens. La contamination se fait pour 95 % dans des espaces clos et le port du masque l'arrête.
Ouvrons donc les espaces de grand air, car ils constituent une défense contre l'épidémie.
C'est presque le nouveau "Ouvrons la cage aux oiseaux". Il faut ouvrir les parcs et jardins, nous l'avons bien compris.
Une réouverture est autorisée et annoncée, c'est celle du grand parc d'attraction du Puy du fou. Cela a même été décidé en Conseil de défense à l'Élysée. Certains critiquent ou dénoncent une pression ou un lien direct entre Philippe de Villiers et le Président pour cette réouverture.
Quelle est votre réaction ?
Si les précautions nécessaires sont prises, les spectacles de plein-air ne sont pas les plus risqués et vous comprenez qu'il n'est pas possible de maintenir la France sous cloche, contrairement à ce qu'un certain nombre de personnes ont cru et croient.
Nous sommes obligés de recommencer à vivre.
Y a-t-il une part de risque ? Il en existe une petite si l'on est en plein-air et une grande part de risque si l'on est dans des milieux clos.
De ce fait, cette orientation consistant à peser le risque en face de chaque événement culturel est intéressante. Si vous concentrez une foule dans un milieu clos, alors les risques épidémiques sont très importants.
Alors, si on rouvre le Puy du fou, il faudra également autoriser les festivals de musique, très importants.
Il y en a certains qu'il faudra autoriser, sous conditions, car la promiscuité est un élément de développement de l'épidémie. Il faut donc garantir et sécuriser le fait que les événements ou les spectacles ne sont pas fondés sur la promiscuité.
Or, certains festivals de musique, étant donné la promiscuité entre leurs festivaliers, feront, en effet, courir quelques risques de contaminations.
Plus on ouvre avec sécurité, mieux c'est. Vous voyez bien de quoi il s'agit.
Une des personnes interrogées il y a une minute le disait. Le pays aspire à retrouver une vie normale, avec le coefficient de sécurité le plus important. La responsabilité des pouvoirs publics, c'est d'aller vers cette démarche de retrouver une vie normale, en garantissant que le maximum de précautions est pris.
Il ne sera jamais possible de garantir le 0 risque !
Y a-t-il eu un effet Philippe de Villiers qui a mis la pression, qui a dit : "Ils veulent nous mettre un genou à terre", pour finalement dire qu'il échangeait des SMS directement avec le Président qui, en sortant du Conseil de défense, lui a dit : "C'est bon, nous avons décidé cela en Conseil de défense" ?
Y aurait-il une exception créée pour Philippe de Villiers ? En effet, nous constatons, comme indiqué à l'instant, que d'autres festivals n'ont pas Philippe de Villiers à leur tête et ne rouvriront donc pas.
J'ai moi-même joué un rôle pour convaincre les autorités et d'abord le Président de la République que les courses de chevaux à huis clos ne présentaient pas de risque. Il me semble que ce n'est pas un problème que des personnalités aient de l'influence.
C'est comme cela qu'une société fonctionne.
Jean-Marie Bigard par exemple ?
Je ne connais pas bien Jean-Marie Bigard, ni ses relations.
Le Président est-il dans son rôle quand téléphone à Jean-Marie Bigard pour lui demander son avis concernant la réouverture des bars, comme il semble l'avoir fait cette semaine ?
Je ne crois pas que le Président de la République doive être Jupiter capitolin, comme on le disait en latin. Je ne pense pas qu'il doive être tout à fait là-haut, au sommet de la montagne, qu'il doive être dans son empyrée, comme on disait dans le beau français de l'époque classique. Je ne crois pas que le Président de la République doive être coupé de tout et j'approuve chaque fois qu'il parle avec les uns et les autres, avec les différents acteurs de la société, car c'est comme cela que l'opinion se fait.
Il est allé voir le Pr Raoult. J'ai pensé que c'était bien. Cela ne signifie pas qu'il a pris parti pour une thèse ou une autre, mais il a des capteurs, il s'informe.
Tous les Présidents de la République ont eu des capteurs, vous croyez que, lorsque François Mitterrand parlait avec Roger Hanin, c'était uniquement dans le cadre des liens familiaux ? Pas du tout, c'était un capteur de la société, tout comme l'était Marguerite Duras.
Je ne confonds naturellement pas Jean-Marie Bigard et Marguerite Duras, mais ce sont des capteurs de la société. Il faut cesser d'imaginer que le Président de la République doit être coupé de tout. Je crois exactement le contraire et je pense, d'une certaine manière, que, dans la période précédente, dans les trois premières années du quinquennat, l'organisation des choses l'a, au fond, trop séparé de la société.
J'ai aimé lorsque, face à cet événement si important des gilets jaunes, il a "pris le taureau par les cornes", si j'ose dire, et il est allé directement parler avec les contestataires ou les responsables pour avoir un échange direct avec eux, dont il est sorti plus de choses positives - et j'espère qu'on les reprendra - que s'il était resté enfermé à l'Élysée avec des cordons de CRS autour.
Je ne suis pas pour l'isolement.
C'est clair !
Je suis pour la dimension historique. Je suis pour ce que les Romains appelaient la gravitas, la gravité. Le Président de la République, ce n'est pas quelqu'un qui s'expose à des gestes ou à des attitudes de saltimbanques. C'est quelqu'un qui, à chaque instant, a la notion de sa mission, mais il ne doit pas être coupé des Français, ni de leurs différentes expressions, qu'on les apprécie où qu'on les apprécie moins.
Demain, commence une grande ambition pour réformer notre santé, un Ségur de la santé. Or, jusqu'à maintenant, vous disiez que le Président ne doit pas être coupé des Français, mais la précédente réforme annoncée de l'hôpital était dans la lignée de toutes les réformes médicalo-technocratiques qui se sont enchaînées depuis vingt-cinq ans, avec toujours plus de réglementation et toujours moins de moyens.
Nous n'avons pas l'impression que le pays a titré les leçons des erreurs passées.
Pouvons-nous enfin espérer une réforme de la santé digne de ce nom qui, comme vous l'indiquez souvent, renverse la table et remette enfin notre système de santé au niveau qui est théoriquement le sien, sachant ce que nous dépensons en France pour la santé et connaissant la qualité de nos personnels de santé, alors que nous traversions la crise la plus grave de notre système sanitaire depuis la seconde guerre mondiale, avant même cette épidémie de Covid-19 ?
Si vous me permettez, je vais énoncer pour vous un jugement minoritaire dans la majorité. Je pense que le Président de la République a été élu en 2017 sur un engagement à l'endroit des Français qui était de changer l'organisation du pays, le mode de gouvernement et la structure ou l'architecture des pouvoirs en France.
Il avait fait le diagnostic - juste à mon avis et je l'indique car j'ai participé à la campagne électorale, comme vous le rappeliez - que là était une faiblesse, que là était une des raisons des blocages du pays et, au fond, la promesse explicite qui était dans tous les chapitres et paragraphes de ses engagements, c'était que l'on allait s'attaquer à cela, sachant qu'aucun Gouvernement jusqu'alors n'avait su apporter une réponse.
Celui d'Édouard Philippe ne l'a pas fait d'avantage.
J'y viens.
Si nous devons avoir un regret sur les trois années qui viennent de s'écouler, c'est que l'on n'a pas mis cette volonté ou cet engagement pour changer l'organisation des pouvoirs et la structure de la société française comme on aurait dû le faire. On a, en effet, continué à gouverner avec des changements bienvenus, mais à peu près comme on avait gouverné sur les vingt-cinq années précédentes.
Pour moi, cette organisation des pouvoirs, de la société, des hiérarchies et les décisions que l'on doit prendre dans une société comme la nôtre sont l'une des causes principales des difficultés que nous rencontrons.
Par exemple, je l'ai dit au début de cette émission, tant que l'on ne se décidera pas à prendre en compte l'impératif de prévision, de plan si je veux employer un mot comme il y avait avant, en définissant des risques et des chances et en se fixant des objectifs, pas en décidant à Paris de tout, comme on le faisait en Union soviétique, mais, au contraire, en rassemblant les acteurs pour leur proposer des objectifs partagés, cela n'évoluera pas.
J'ai cité l'objectif de souveraineté sur des domaines essentiel. Concernant les médicaments, on ne peut pas être perpétuellement dépendants de l'extérieur.
Tout cela se décide également au niveau local. Vous le disiez à l'instant. Vous avez, bien sûr, évoqué le fait que vous êtes Maire de Pau et vous êtes d'ailleurs candidat à votre réélection.
Une question concernant l'organisation des municipales : nous nous rappelons que vous étiez opposé à la tenue du premier tour des élections le 15 mars. Édouard Philippe vient de programmer le second pour le 28 juin.
Êtes-vous d'accord ? Comment allez-vous mener campagne ? Tiendrez-vous des réunions publiques ?
Ce matin, dans le Parisien, Christophe Castaner a indiqué qu'elles seront autorisées.
J'étais, en effet, opposé à la tenue du premier tour à la date indiquée, car, dire en même temps aux Français qu'ils ne devaient plus sortir, mais qu'ils le pouvaient pour aller voter comportait une contradiction intrinsèque et une incohérence dangereuse.
Aujourd'hui, nous sommes en période de déconfinement et nous allons essayer de retrouver une vie normale. Je pense donc juste de respecter les engagements.
Quels étaient-ils ? La loi votée solennellement par le Parlement mentionne ceci : "S'il est possible de le faire, il faut voter avant fin juin". Il semble que ce soit possible. Tout le monde voit bien qu'il y a des éclaircies et que nous commençons à voir un bout de ciel bleu, en espérant que cela ne changera pas et qu'il n'y aura pas de ressaut de l'épidémie.
Si c'est possible, il est donc juste de voter avant fin juin.
Comment mener campagne ? En respectant autant que possible deux impératifs :
- Ne pas mettre en danger la santé de ceux qui participent à la campagne, candidats et citoyens,
- Faire preuve d'imagination.
C'est pourquoi je voudrais plaider devant vous pour un élément. Je propose, s'il y a des communes volontaires, que l'on puisse expérimenter le vote par correspondance, utilisé en France pendant longtemps et maintenant abandonné, et le vote numérique par Internet.
Faut-il une loi ?
Jusqu'à présent, Christophe Castaner l'a refusé, disant que cela remettait peut-être en cause la sécurité et la sincérité du vote.
Vous estimez, vous, que c'est techniquement et démocratiquement possible ?
Il est possible de voter par Internet pour les associations de pêcheurs à la ligne, pour les organisations syndicales, pour la totalité des consultations lorsqu'il s'agit de désigner des représentants et que vous êtes, par exemple, enseignants.
Rien n'est plus facile, me semble-t-il, de garantir la sincérité du scrutin, puisque toutes les listes électorales sont numérisées. Il suffirait donc que les citoyens envoient une photocopie de leur carte d'identité ou de leur carte électorale pour qu'on leur donne un numéro de code et qu'ils puissent voter.
Le "blocage" de la France sur le vote numérique par Internet me paraît une absurdité. Désormais, cela s'impose partout. Chacun pourrait ainsi voter de chez soi sans prendre de risques. Je suis certain que cela augmenterait la participation.
Si l'État ne veut pas le faire, qu'il accepte que certaines communes le fassent et, moi, en tout cas, je propose, si l'État l'accepte, que la ville de Pau soit une de ces villes faisant le choix d'un vote par Internet, ce qui rendrait la participation beaucoup plus facile et beaucoup moins risquée pour ceux craignant l'épidémie.
Il est très clair que vous êtes donc candidat à ce qu'il y ait des élections par correspondance ou par Internet dans votre ville de Pau.
Merci beaucoup, François Bayrou, d'avoir été avec nous ce matin pour l'émission BFM Politique sur BMF TV.