Yann Wehrling : "En tant qu'Ambassadeur à l'environnement, je veux faire émerger des actions concrètes."
Yann Wehrling, Ambassadeur de France à l'Environnement, a accordé une interview dans laquelle il revient sur son engagement pour la nature, son rôle en tant qu'Ambassadeur et sur les enjeux liés à une politique environnementale responsable.
Qu’est-ce qui a motivé votre engagement pour le bien commun ?
Petit, ma marraine m’a sensibilisé à la question du vivant au sens large. J’ai grandi dans l’idée que nous faisons partie de ce vivant, que rien ne nous autorise à le maltraiter comme nous le faisons. Je suis donc un militant écologiste depuis toujours.
Mon engagement a démarré dans un environnement familial plein de convictions puis j’ai rejoint des mouvements de jeunesse pour la nature en Alsace. Dans ces mouvements, je participais à des sorties dans la nature, des opérations de chantiers visant à la restauration d’espaces naturels.
Le déclic qui m’a poussé à m’engager plus fortement, c’est un projet industriel à Marckolsheim dans le Centre de l’Alsace, le long du Rhin, au coeur des forêts remarquables du Rhin. On allait déboiser des dizaines d’hectares de la forêt rhénane, un bijou de biodiversité. Ce fut une victoire. L’entreprise a dû réduire des deux tiers son emprise et le compromis trouvé a permis avec les pouvoirs publics de consacrer la protection générale des forêts rhénanes. Je me suis rendu compte que le fait de se mobiliser, de dire non puis de discuter un compromis était extrêmement important. J’ai aussi mené un autre combat pour la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Et la forte implantation des Verts en Alsace, notamment au sein des mouvements associatifs de protection de la nature, m’a poussé à m’engager chez eux dès mes 18 ans, et ce, pendant près de 20 ans.
En tant qu’Ambassadeur à l'environnement, quelles sont les missions réalisées qui vont ont le plus marqué ?
J’ai été nommé Ambassadeur à l'environnement fin 2018. Cette prise de fonction m’a permis de découvrir ou redécouvrir trois univers différents. Le premier, je le connaissais très bien, car il s’agit des sujets environnementaux. Mais ce n’était pas le cas des deux autres.
J’ai ainsi découvert les organisations internationales, notamment les arcanes des instances internationales onusiennes.
Voyager, dialoguer avec de nombreux autres pays, c’est découvrir énormément de différences culturelles. Forcément, on finit par se rendre compte du caractère très autocentré de la France. Les français se plaignent énormément de la situation qui est la leur, mais tout le monde gagnerait à comparer les situations dans d’autres pays. Lorsque l’on pratique cet exercice, on en apprend plus et on se rend aussi compte que les choses ne sont si mauvaises en France. Nous n’avons pas à rougir de ce que nous faisons.
Le dernier univers, que j’ai eu l’occasion de découvrir, c’est celui du monde de la diplomatie et du Quai d’Orsay. Un monde particulier avec ses propres codes. Je ne suis pas certain que je finirai par apprivoiser ces codes (sourire).
Concernant les missions que j’ai menées en tant qu’Ambassadeur à l’environnement, je me suis focalisé sur les sujets de protection de la biodiversité. Ainsi, je travaille sur deux des trois grandes conventions mondiales sur l'environnement. À savoir, la Convention biodiversité et la Convention désertification. La troisième convention, la plus connue, est celle sur le changement climatique, celle qui porte aussi le nom d’ "accords de Paris".
Lorsque l’on est diplomate, on travaille sur des projets dont les résultats ne seront visibles que des années plus tard. Par exemple, au nom de la France, je tente d’obtenir que la communauté internationale adopte l’objectif de protéger d’ici 2030 30% de la planète en créant des aires marines et terrestres . Cet objectif international pourrait être inscrit dans la Convention Biodiversité que l’on est en train de négocier. Emmanuel Macron s’est déjà engagé, pour la France, en 2020 sur cet objectif de consacrer 30% du territoire national (marin et terrestre), tout comme 50 autres pays.
Mais travailler sur le temps long ne doit pas empêcher de faire du concret dès aujourd’hui.
A ce titre, je tente régulièrement de faire émerger des actions concrètes. Un exemple : la protection d’espèces emblématiques via la protection de leurs habitats. Je me suis notamment penché sur le cas des grands singes. Les 8 espèces sont les plus proches de l’Homme. Nous sommes d’ailleurs, en réalité, des grands singes. Toutes les autres espèces de grands singes sont très très menacées car leurs habitats sont détruits à petit feu. Protéger les grands singes, c’est protéger les forêts tropicales où ils vivent, qui sont au passage les lieux avec la plus forte biodiversité du monde. Cet exemple vaut pour de nombreuses espèces en danger. Chercher à les sauver, c’est protéger leur habitat et donc la nature dans son ensemble.
Actuellement, j’ai le projet de protéger les orang-outang en Malaisie. Pour cela, on aide financièrement les producteurs d’huile de palme à faire de la reforestation dans la forêt tropicale de Bornéo, lieu de vie des orang-outang. Pour moi, ce projet a tout son sens, car cette forêt de Bornéo est dévastée par la production d’huile de palme, que nous consommons massivement, notamment en France et en Europe .
J’ai un deuxième exemple, sur un projet dans l’est du Sénégal, lié à la préservation d’une forêt. L’objectif est de protéger des chimpanzés. Le cours d’eau où ils boivent est pollué par les lessives faites par les femmes des villages alentours. Nous souhaitons implanter dans ces villages un lavoir pour que les femmes puissent laver leur linge tout en évitant les rejets polluants dans le cours d’eau. Ce projet qui, également financé par la Région Ile de France au titre de sa coopération décentralisée, permet de faciliter la vie des villageoises tout en évitant d’intoxiquer la faune locale.
Un Ambassadeur à la environnement, quel est son quotidien ?
Au moment de ma prise de fonction fin 2018, il n’y avait pas de pandémie. Ainsi, une semaine sur deux, j’étais à l’étranger pour porter la parole de la France. L’année 2020 a été exceptionnelle. Les négociations, rendez-vous et réunions se faisant de manière virtuelle, cela a compliqué les relations humaines. Or, le facteur humain a son importance dans les relations internationales. Ne plus échanger de manière informelle autour d’un café ou d’un repas par exemple, c’est réduire considérablement la créativité, l’émergence d’idées nouvelles, de solutions, de règlements des différends, de résolutions des incompréhensions. Cela a donc malheureusement eu comme conséquence de figer beaucoup de choses.
La Conférence des Parties (COP) sur la biodiversité aura probablement lieu à Kunming en Chine en octobre 2021. Quels sont les dossiers que la diplomatie française va pousser en priorité ?
Il y a deux dossiers que je pousse au titre de la diplomatie française.
A. Le premier est comme je vous l’ai dit de protéger 30% de la planète.
B. On souhaite également réduire les impacts sur la nature de plusieurs activités humaines ciblées par les scientifiques : l’industrie extractive (mines), la surpêche ou encore la pollution par les plastiques et la pollution chimique, notamment celle émanant du monde agricole (phytosanitaire, fongicides et insecticides) qui est aujourd’hui beaucoup trop destructrice d’espèces, notamment les insectes, dont la disparition a des conséquences en cascade sur toute la chaine alimentaire. Nous souhaitons la diminution de 50% des pollutions plastiques et des pesticides.
Ancien secrétaire général des Verts (devenus par la suite EELV), que pensez-vous des repas sans viande imposés par la municipalité écologiste de la ville de Lyon ?
Pour moi, c’est une mauvaise polémique. En l’occurrence, ce n’est pas la mise en place définitive d’un repas unique végétarien dans les cantines scolaires. C’est seulement, une mesure temporaire pour rendre applicables des mesures sanitaires. En effet, le menu végétarien est plus facile à généraliser que les menus avec de la viande. D’ailleurs, la municipalité précédente de Gérard Collomb avait fait de même. On peut reprocher à EELV d’être assez souvent trop radicaux. En l’occurence, ce n’était pas le cas.
Je pense que l’écologie souffre de caricatures et de radicalité, alimentées, c’est vrai, par certains écologistes eux-mêmes. Ceux qui n’aiment pas l’écologie s’en délecte et force le trait. La réalité de tout cela c’est que nous n’arrivons plus à défendre une écologie raisonnable, de compromis. Tout le monde est radical, les écolos et les anti-écolos. Dans cet exemple de la viande, on devrait nécessairement être vegan ou 100% pro viande. Un discours de réduction de notre consommation de viande est tout simplement devenu inaudible… or c’est cela le vrai sujet. Dans les pays occidentaux et riches, nous mangeons trop de viande. Cet excès génère des dégâts considérables sur l’environnement notamment en matière de déforestation. Surtout qu’en France, pays de la gastronomie, nous sommes bien placés pour plaider pour préférer la qualité à la quantité, le bon plutôt que l’industriel. On devrait porter un modèle d'élevage axé sur les labels qualité. Bien entendu, le coût sera plus élevé, mais manger une viande deux fois plus chère mais en manger deux fois moins, c’est économiquement neutre pour tout le monde, mais totalement positif pour notre santé et la planète.
Comment définiriez-vous la politique environnementale et écologiste du Mouvement Démocrate ?
J’ai rejoint le Mouvement Démocrate pour trouver un terreau de positionnement refusant toutes les radicalités. Pour moi, ces radicalités ne font pas avancer la société, elles la font au mieux stagner, au pire, reculer. Ce qui m’a plu dans ce parti, c’est que c’est un parti réformiste et il était très ouvert aux enjeux environnementaux quand je l’ai rejoint en 2008.
Pour moi, le MoDem devrait être davantage ce parti du compromis environnemental et être dans la recherche de solutions qui font et feront avancer la cause environnementale.