Placer les sujets européens au cœur des médias audiovisuels français
La députée d'Indre-et-Loire et présidente de la commission des affaires européennes à l'Assemblée nationale, Sabine Thillaye, s'exprime sur son rapport sur la couverture de l’Europe par les médias français et revient sur le pré accord de coalition passé par le SPD.
La France a-t-elle engrangé un retard dans le paysage audiovisuel européen ?
Le constat est connu et documenté depuis plusieurs années : l’Europe reste la grande absente des médias audiovisuels, en particulier en France. Chez nous, moins de 3% d’antenne globale sont dédiés aux sujets européens. Ce chiffre est encore moindre, de l’ordre de 2%, si l’on considère les chaînes d’information en continu et les JT traditionnels comme TF1 ou France 2. Deux types de sujets sont cruellement absents des écrans de télévision et des ondes radio : le traitement des nouvelles émanant des institutions européennes et les émissions de pédagogie sur le fonctionnement même de l’Union européenne. Ce retard n’est pas sans conséquence puisque 55% des Français se disent mal informés sur les sujets européens et 77% souhaiteraient accéder à plus d’informations sur les sujets européens. La présidence française de l’Union européenne doit constituer un moment central pour relancer durablement le traitement médiatique des sujets européens.
Parmi vos propositions, vous parlez de renforcer les obligations légales de traitement des sujets européens. Comment cela prendra-t-il place ?
Actuellement la seule obligation légale de traitement des sujets européens résulte des cahiers des charges, conclus entre l’État et les médias publics. Pourtant l’absence de couverture du discours sur l’État de l’Union d’Ursula von der Leyen le 15 septembre dernier démontre combien ce cadre est inefficace. Le rapport propose la conclusion d’une charte d’engagement à adopter entre l’État et les groupes audiovisuels publics pour que certains évènements européens soient mieux couverts, telle que la journée du 9 mai. Cette proposition s’inscrirait surtout dans une démarche incitative, il n’est évidemment pas question de remettre en cause l’indépendance journalistique.
Vous évoquiez également un statut pour les journalistes spécialisés dans les affaires européennes. Quels sont les objectifs à long terme ? Faut-il instituer un statut de “journaliste européen” ?
Dans un souci de plus grande qualité de l’information délivrée par les journalistes, il semble nécessaire que ces derniers soient incités à traiter et à analyser pertinemment les sujets européens, ce qui implique en amont des modules de formation adaptés. Il nous faudra aussi réfléchir, à plus long terme, à la création d’une école européenne de journalisme, consacrée à la formation de correspondants de presse européens. Par ailleurs, le prix français « Louise Weiss » qui récompense les journalistes francophones engagés dans un traitement approfondi des sujets européens pourrait être transposé au niveau européen. Le statut de « journaliste européen » permettrait quant à lui d’attribuer certaines facilités professionnelles.
Comment réfléchir à de nouvelles formes d’information sur les questions européennes ?
Il faut notamment faire en sorte que l’Union européenne se « mette en scène », afin de montrer qu’elle peut délivrer un véritable « récit politique ». Il faut donner une dimension évènementielle à la vie politique européenne pour la rendre plus proche des citoyens et plus compréhensible. Par exemple, le journal en ligne Politico, spécialisé dans la couverture des affaires européennes, a démontré qu’il était possible de parler autrement de l’Union européenne et de son actualité en décryptant ses enjeux et mettant en scène ses débats. Sur un aspect plus institutionnel, il conviendrait de renforcer le contrôle parlementaire sur les Affaires européennes afin de donner matière aux journalistes. En ce sens, nous proposons de remplacer la séance de questions au gouvernement précédant les plus importantes réunions du Conseil européen par un débat solennel suivi d’un vote. Ce type de débat permettrait d’impliquer davantage la Représentation nationale dans le suivi de la politique européenne. Enfin, le rôle de la commission des Affaires européennes pourrait être revalorisée en faisant de celle-ci une commission permanente, régulièrement impliquée dans la mise en œuvre des textes européens dans le droit national.
Que pensez-vous du pré accord de coalition qui a été passé par le SPD ?
Il faut tout d’abord noter que cette coalition (SPD, FDP et Grünen), réunissant non pas deux mais trois partis, pourra s’appuyer sur un socle électoral large de l’ordre de 52 à 54%. L’alliance entre ces trois partis au niveau fédéral constituerait donc un moteur puissant, certes basé sur un compromis politique mais capable de porter d’importantes réformes politiques, avec le soutien de la population.
Sur le fond et donc les sujets de politiques publiques à porter, le préaccord de coalition est encore général même s’il comporte des garanties qui permettraient aux trois partis en négociation d’aboutir à un contrat de coalition avant Noël. Ainsi, le FDP obtient le renoncement à toute hausse d’impôt et un respect des règles strictes liées à l’endettement, de même que les Grünen une sortie du charbon d’ici 2030 au lieu de 2038 comme ils le souhaitaient. Beaucoup de points sont toujours en discussion, en particulier en matière de politique étrangère et européenne.
Il semble qu’aujourd’hui les trois partis reconnaissent l’établissement d’une « souveraineté stratégique de l’Europe » ce qui constitue une grande avancée pour l’Allemagne et pour l’Europe. Comme l’a souligné Angela Merkel « ce sera un gouvernement pro-européen » et il convient de se réjouir de cette approche qui ne sera que bénéfique pour l’Union.