Tribune : « L’Europe face au défi de la défense : il est temps d’agir » par Sandro Gozi

Notre eurodéputé, Sandro Gozi, a publié une tribune dans La Tribune Dimanche sur le besoin d'effort primordial de l'Union européenne sur sa défense.
Trop longtemps, les Européens ont évité d'assumer pleinement leurs responsabilités pour une véritable défense européenne. Entre illusion d'un soutien américain continu et réflexes nationaux voire nationalistes, on a toujours trouvé une fausse bonne raison pour perdre du temps. Pourtant, nous avons les moyens d'agir. Des outils existent dans le traité UE pour permettre aux États volontaires de renforcer leur coopération et de bâtir une véritable capacité de défense commune. Il est temps de les utiliser.
Nous devons structurer et pérenniser une coopération européenne en matière de défense, tout en restant dans le cadre juridique de l'Union, avec la participation de ses institutions. Encadrer ces initiatives au sein des règles existantes aurait plusieurs avantages : garantir leur durabilité, augmenter leur efficacité, leur conférer une légitimité institutionnelle et permettre d'inclure des partenaires extra-européens, tels que le Canada ou le Royaume-Uni.
Une telle approche éviterait aussi les pièges des alliances temporaires et des sommets ad hoc, parfois nécessaires mais souvent sources de malentendus et de rivalités entre leaders et gouvernements alors que nous devons encourager l'unité politique et l'intégration industrielle et militaire.
Face aux tensions internationales, l'Europe ne peut plus se permettre d'attendre. La possibilité d'un accord entre Donald Trump et Vladimir Poutine, qui pourrait redessiner l'équilibre mondial bien au-delà du conflit ukrainien en ciblant l'Europe, impose d'agir sans délai. Nous devons vivre ce défi comme une opportunité historique pour construire une véritable puissance autonome, militaire et industrielle.
Nous devons établir une défense commune compatible avec l'OTAN pour organiser la défense territoriale européenne.
Trois options existent : la première, l'unanimité au sein du Conseil européen, mais cette voie est peu réaliste dans le contexte politique actuel ; la deuxième, un traité ad hoc signé entre États volontaires, qui pourrait ensuite être intégré dans le cadre juridique de l'UE. Et enfin, la Coopération Structurée Permanente (PESCO), déjà utilisée en 2017 pour améliorer la coopération en matière de défense entre États Membres pour des projets spécifiques, mais avec un potentiel politique bien plus important et qui permettrait aux États engagés d'avancer à la majorité, sans être bloqués par les plus réticents.
La PESCO est l'option la plus pragmatique. Elle pourrait aller au-delà des projets industriels actuels, pour aboutir à la création d'une véritable force européenne déployable. Plus largement, nous devons enfin établir une « défense commune » compatible avec l'OTAN pour organiser la défense territoriale européenne, comme le prévoit le Traité sur l'UE. Cela garantirait la mise en œuvre ordonnée de la clause d'assistance mutuelle prévue par le cadre juridique de l'UE en cas d'agression militaire contre un État membre de l'UE.
L'Europe pourrait ainsi répondre à l'urgence immédiate tout en préparant une réponse structurelle de long terme. Cela implique plusieurs actions : tout d'abord, des réformes pour rendre la défense européenne plus efficace, puissante et démocratique ; une modernisation des processus décisionnels s'impose également ; tout comme une augmentation des ressources et des investissements communs ; et enfin la mise en place d'une véritable démocratie transnationale. Pas de puissance sans plus de démocratie.
Ce travail doit commencer maintenant, avec en ligne de mire la nécessité d'unifier politiquement le continent. En 2024, l'UE est prête à soutenir l'Ukraine. En 2029, elle doit être prête à devenir un acteur politique crédible dans le monde.
Nous avons laissé passer plus trente ans depuis Maastricht. L'histoire ne nous pardonnera pas une nouvelle inertie.
Mais pour une unification continentale et une véritable Union politique, une réforme des traités est indispensable. Une majorité simple de leaders au Conseil européen (14 sur 27) peut et doit déclencher ce processus, qui devrait être achevé avant la fin de cette mandature européenne, en 2029. Impossible d'élargir l'Union sans la réformer. Les États prêts à avancer doivent le faire sans attendre.
La France, l'Allemagne, la Pologne et l'Espagne ont un rôle moteur à jouer pour créer une avant-garde de la défense européenne. Ils peuvent également rassembler d'autres pays prêts à s'engager avec eux sur le court et le long terme.
C'est le projet d'une Europe du libre choix politique : cette dynamique ne doit pas être freinée par ceux qui hésitent. L'Italie de Giorgia Meloni, par exemple, doit sortir de son ambiguïté et de sa propagande. Sinon l'Italie, pourtant pays fondateur de l'UE et toujours protagoniste de l'histoire de l'UE, risque de s'effacer sur la scène européenne et de jouer un rôle marginal.
L'Europe a déjà perdu trop de temps. Nous avons laissé passer plus trente ans depuis Maastricht, peut-être même soixante-douze, depuis le rejet de la Communauté Européenne de la Défense en 1954. L'histoire ne nous pardonnera pas une nouvelle inertie. L'Europe de la défense ne se décrète pas, elle se construit. Et elle doit commencer maintenant.