Cyrille Isaac-Sibille : "En matière de politique de prévention, la France est en retard. Si elle est l'un des pays où on vit le plus longtemps, elle n’est pas le pays où on vit le plus longtemps en bonne santé."
Le député du Rhône et docteur, Cyrille Isaac-Sibille, revient pour nous sur son rapport sur la mission parlementaire « organisation des professions de santé : quelle vision dans dix ans et comment y parvenir ? ». Il présente pour nous les grands enjeux de ce rapport et sa vision de la santé de demain. Interview.
En tant que médecin, quelle est votre vision pour l’évolution des métiers de la santé ?
L’organisation actuelle des professions de santé doit évoluer face aux défis à venir, que sont le vieillissement de la population, l’explosion des maladies chroniques et les évolutions démographiques insuffisantes attendues des professionnels médicaux. Il convient de réfléchir aux évolutions de ces métiers, notamment en se fondant sur ce que j’ai appelé “la théorie de l’escalier”.
D’une façon générale, le système de santé actuellement tourné vers les soins doit évoluer vers une dynamique préventive. La santé publique doit devenir une composante à part entière de la pratique des professionnels de la santé. Il nous faut également décloisonner les parcours professionnels et inciter au développement de nouveaux modes d’organisation des soins et de financement d’actes de prévention pour insuffler une véritable dynamique de coopération.
Vous parlez d’une « théorie de l’escalier », de quoi s’agit-il ?
L’élargissement des compétences d’une profession de santé est souvent perçu comme l’instauration d’une concurrence entre professions ainsi que comme la perte de l’exclusivité des compétences. C’est tout l’inverse que propose la théorie de l’escalier que je prône. Elle vise à organiser la montée en compétence progressive de chaque profession. Dans cette logique, les aides-soignants pourraient réaliser les soins de “nursing”, permettant aux infirmiers de se concentrer sur des missions qui fondent davantage leur cœur de métier et de leur permettre de réaliser d’autres actes ou gestes.
Pourquoi êtes-vous favorable à l’exercice libéral des aides-soignants ?
Dans un contexte de vieillissement de la population conjugué à une explosion des pathologies chroniques, il se profile une augmentation du nombre de personnes prises en charge à domicile. Or, les évolutions démographiques attendues des professionnels médicaux ne seront pas suffisamment dynamiques pour couvrir les besoins en santé durant les prochaines décennies.
Il est donc urgent d’apporter une solution. La création d’un statut libéral des aides-soignants est apparue comme une des réponses pour une meilleure prise en charge des patients. L’exercice libéral des aides-soignants implique que ceux qui désirent travailler sous ce statut le fassent par délégation d’actes, au sein des cabinets d’infirmiers libéraux et sous la responsabilité de ces derniers.
Une telle proposition devra s’accompagner d’une augmentation de l’enveloppe financière dédiée à la prise en charge des personnes à domicile.
Pourquoi y-a-t-il une nécessité à renforcer les missions de prévention, selon vous ?
En matière de politique de prévention, la France est en retard. Si elle est le pays où on vit le plus longtemps, elle n’est pas le pays où on vit le plus longtemps en bonne santé. La mortalité prématurée y est encore élevée. Mettre l’accent sur la prévention, c’est diffuser dès le plus jeune âge une culture de santé publique et les bons comportements en santé. Pour cela, nous souhaitons renforcer le rôle de prévention des professionnels de santé.
Il convient de valoriser financièrement ces missions de prévention. Au préalable, il convient d’identifier quelles actions mettre en œuvre sur quel territoire, grâce aux données de santé de la population et grâce au diagnostic partagé par les professionnels de santé de ce territoire. Ces actions doivent être évaluées via des indicateurs spécifiques qui permettraient de constater les « progrès en santé » réalisés. Seraient associés les professionnels de prévention du territoire (médecin du travail, infirmières puéricultrices, PMI, santé scolaire etc.).
Quelles sont vos attentes pour le prochain projet de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS) ?
Certaines recommandations du rapport relèvent du champ du PLFSS, d’autres non et j’aimerais que celles-ci puissent être intégrées dans son texte, à l’instar du projet d’expérimentation permettant aux orthoptistes de se voir déléguer davantage de tâches, dès lors qu’ils se trouvent dans un territoire où la densité d’ophtalmologistes est faible. Les territoires ciblés pourraient être les territoires vie-santé, c’est-à-dire des territoires construits en fonction de l’accès aux équipements et aux services les plus fréquents au quotidien, où la densité en ophtalmologiques est inférieure à 5/100 000 habitants.