Jean-Jacques Jégou: "notre politique de santé doit s'orienter vers la prévention"
En 2009, au moment où menaçait l’épidémie H5N1, le trésorier du Mouvement Démocrate Jean-Jacques Jégou, alors sénateur du Val-de-Marne, était rapporteur spécial du budget de la Santé et rapporteur pour avis du PLFSS. Il avait alors rédigé un rapport sur la gestion du stock national santé par l’EPRUS (Établissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires). Interview.
Mouvement Démocrate - En 2009, vous avez mené des investigations sur le fonctionnement de l’EPRUS, créé en 2007. A quels objectifs répondait cet organisme ?
Jean-Jacques Jégou - Depuis 2003, nous avions vu une succession de pandémies venues d’Asie, liées au commerce des animaux sauvages. Des alertes nous avaient fait dresser l’oreille. Comme rapporteur spécial, j’ai décidé en 2009 d’établir un rapport spécifique sur le fonctionnement de l’EPRUS, organisme créé pour préparer et répondre aux urgences sanitaires.
Curieusement, à cette époque de cette pandémie un peu avortée, le sujet des masques n’était pas à l’ordre du jour. Les réflexions portaient bien plutôt sur les vaccins contre la grippe et sur le médicament à succès : le Tamiflu.
Or, j’ai fait un constat : ce qui est culturel en France, c’est notre incapacité à faire de la prévention. La question de la prévention, pourtant essentielle, intéresse malheureusement trop peu les gens. Se répand l’idée que ce qui peut nous arriver n’arrivera pas. En France, on n’a jamais voulu investir suffisamment dans la prévention. C’est valable également pour la prévention santé dans les écoles, pour des maladies génétiques, pour l’hygiène de vie…
Vous avez relevé des dysfonctionnements dans le fonctionnement de l’EPRUS ?
Lorsque je me suis rendu dans les dépôts de médicaments, j’ai constaté qu’il y avait des stocks de masques, environ 1 milliard 6. Mais la question de la date de péremption n’était pas réellement soulevée, les autorités craignant d’être tenues pour responsables en autorisant une utilisation au-delà de X années, par exemple. Nous sommes dans un contexte de judiciarisation et de responsabilisation croissant, sur lequel on peut s’interroger. Pour un produit consommable, mais non alimentaire, il est délicat de fixer la date de péremption avec certitude. Certains disaient, ainsi, que les masques demeuraient efficaces à condition de changer les élastiques.
Aujourd’hui, des stocks de ces masques de l’époque ont parfois été retrouvés et utilisés, comme à Pau. D’autres stocks avaient apparemment été détruits. Il semble que l’on n’ait retrouvé que quelque 100 à 400 millions de ces masques, achetés parfois avant même la création de l’EPRUS. En 2009, dans mon rapport, j’avais posé la question de la mobilisation des collectivités locales dans l’implantation de ces stocks.
Pour la plus grande partie, les stocks de masques acquis au début des années 2000 avaient tout simplement été oubliés dans un coin. Cela dénote un manque de suivi manifeste dans la politique de gestion des stocks. Il fallait, chaque année, effectuer un contrôle, jeter et remplacer les stocks périmés. Il n’y a pas eu de gestion dynamique des stocks, qui n’ont pas été renouvelés au fur et à mesure. Pour que l’on dispose, toujours, d’un stock minimal.
Je regrette cette politique de santé au fil de l’eau qui n’intègre pas suffisamment la politique de prévention.
De nouvelles pandémies risquent d’arriver à l’avenir. Comment ajuster la prévention face à l’imprévisible ? Face à des risques que, peut-être, on ne connaît pas encore ?
Par exemple, si le risque venait des moustiques, ce ne serait pas de masques que l’on aurait besoin, mais d’autres formes de protection.
On peut toujours imaginer de nouveaux risques, de l’inconnu. Mais assurer la prévention, gérer les stocks, cela suppose d’anticiper à partir de ce qui est probable, et donc de risques que l’on a déjà identifiés. Dans le Covid-19, il y a du connu. La seule chose qui n’est pas connue, c’est qu’il appartient à une nouvelle famille grippale. La politique de prévention se définit sur la base des risques connus. Savoir quel doit être le niveau de prévention, c’est une question d’ajustement, de gestion. Il faut avoir des contrats d’objectifs et de moyens.
Pour la plupart des pandémies, la prévention tient aussi à des gestes simples, de bon sens : avoir les bons réflexes d’hygiène.
Quel a été l’impact de votre rapport pointant les insuffisances de l’EPRUS ? L’agence, dissoute en 2016, a été remplacée par Santé publique France : le fonctionnement est-il similaire ?
Sur le moment, mon rapport a été bien accueilli. Mais nous sommes malheureusement de plus en plus soumis à la politique du court-terme. Avec Jean Arthuis, ancien ministre et sénateur, ou Philippe Marini, sénateur-maire de Compiègne et rapporteur général du budget, membre de la commission de Finances nous avions des relations amicales et franches, où nous discutions des problèmes. Mais, ensuite, les rapports ne sont pas suivis d’effet, on les oublie. Philippe Marini avait rédigé un rapport extrêmement intéressant sur le phénomène d’agencisation. C’était une dénonciation grave du détournement des fonctionnaires. Là aussi, ce rapport n’a malheureusement pas donné lieu à des changements significatifs.
Dans mon rapport de 2009, j’avais aussi pointé, par exemple, la question du financement de l’EPRUS : était-ce logique que la sécurité sociale contribue autant, alors que cette mission de contrôle et de suivi pouvait relever, davantage, d’une mission régalienne de l’Etat ? La question a été jugée intéressante, mais rien n’a changé.
En 2016, l’EPRUS a été dissous, sans doute pour réaliser des économies : en effet, l’organisme n’avait pas fait preuve d’une réelle efficacité. Santé publique France ne semble pas fonctionner de façon très différente. D’une manière générale, nous avons en France une politique de prévention insuffisante, d’où un manque de marge de manœuvre.