Entretien de Marc Fesneau dans Sud Ouest
À cinq mois de la présidentielle, le ministre des Relations avec le Parlement Marc Fesneau fait le point. Interview complète.
Ce quinquennat a été marqué par des relations difficiles avec les élus locaux. Dans la perspective de la présidentielle, l’élection du très droitier David Lisnard à la tête de l’AMF est un coup dur pour la majorité ?
Cela n’a pas de rapport avec la présidentielle. Et les élus locaux du terrain, du réel, savent ce que nous avons fait pour eux. Quand vous êtes le président des maires, vous ne portez pas la voix de ceux qui vous ont élu mais des 35 000 maires de France avec toutes leurs nuances. Et je suis certain que David Lisnard ne l’oubliera pas. C’est d’ailleurs ce qui s’est exprimé lors du vote.
Lors de son allocution le 9 novembre, Emmanuel Macron s’est dit favorable à repousser l’âge de départ en retraite. C’est une proposition de campagne ?
Le président a indiqué que les conditions n’étaient pas réunies pour finaliser la réforme des retraites. Mais le chef de l’Etat a souligné que cette réforme restait nécessaire. Si la question de l’âge est posée, cela n’épuise en rien les questions du minimum de retraite et de la pénibilité ou d’inégalité des chances entre les femmes et les hommes.
En actant le fait qu’il faudra travailler plus longtemps, c’est le signe d’une future campagne à droite ?
Le travail est une valeur cardinale, pour préserver notre modèle social, pour rendre notre Etat plus solide, pour bâtir notre indépendance. Il doit permettre de vivre dignement et payer toujours davantage que l’inactivité : dire cela n’est pas mener « une campagne à droite » mais croire qu’il peut être facteur d’émancipation. Le travail et la valeur travail sont en partage dans notre République.
Pourtant, la réforme de l’assurance-chômage n’apparait pas comme une concession à la gauche. Les demandeurs d’emplois pas assez actifs dans leur recherche perdront leurs indemnités…
C’est une erreur de croire que la question du chômage, tandis que tant de secteurs manquent de salariés, ne parle qu’à un électorat « de droite ». Un effort sans précédent sur la formation et l’accompagnement des chômeurs a été mené sous ce quinquennat. La question du travail parle à tous. Personne ne nie que traverser plusieurs années de chômage est difficile. Ce que défend le président, et ce que tout le monde perçoit, c’est que l’émancipation vient par le travail et que la solidité d’une société tient au travail.
Où est passée la promesse initiale du en-même temps ?
Elle est intacte ! On peut lire le monde tel qu’il est, et non lire les défis futurs sous l’angle des clivages obsolètes droite/gauche dont on ne sait aujourd’hui plus les idées. L’éducation, l’environnement ou la question démocratique ne sont ni des sujets de droite, ni des sujets de gauche. Ce sont des défis collectifs qui n’appartiennent à personne ! La vie politique ne se résume pas à un choix binaire, vous connaissez à ce titre mon attachement au courant de pensée dont je fais partie et aux combats menés avec François Bayrou.
Les partis de la majorité vont se retrouver dans une « maison commune » baptisée « Ensemble citoyens ». C’est la preuve de la démonétisation d’En Marche ?
Ce n’est pas une question d’étiquette. En 1988, François Mitterrand n’est pas le candidat du PS, mais tout le monde sait d’où il vient. En 1995, Jacques Chirac est le candidat du RPR, mais en 2002, c’est le candidat sortant. En 2012, Sarkozy était très soutenu par l’UMP et ça n’a pas suffi… Un président sortant s’appuie sur le dépassement et la capacité de rassemblement. C’est ce que nous faisons et préparons.
Le dépassement a aussi ses limites. Durant ce quinquennat, le MoDem, votre parti, a perdu la bataille de la proportionnelle…
La question démocratique ne se résume pas à ce seul sujet. La proportionnelle ne suffit pas. Mais dans un pays comme le nôtre qui a du mal à sortir des affrontements, elle permet les bases du dépassement et du rassemblement. La proportionnelle est présente au Sénat, dans les régions, aux municipales, dans les métropoles, mais pas à l’Assemblée nationale. Comment comprendre ? Au-delà, il nous faut aussi des parlementaires plus forts, c’est-à-dire un Parlement plus fort. C’était l’objet de la réforme constitutionnelle, non aboutie, de 2018.
Selon l’Opinion, en cas de réélection en avril, le chef de l’Etat songerait à dissoudre, dans la foulée, l’Assemblée nationale pour s’épargner une campagne des législatives trop longue. Qu’en est-il ?
Je n’ai jamais entendu parler de cette hypothèse.
Vous qui êtes chasseur, Yannick Jadot, le candidat écologiste, veut interdire la chasse le week-end et durant les vacances scolaires. Qu’en pensez-vous ?
L’écologie n’a pas besoin de caricature. On n’est pas obligé d’avoir un débat sur les sapins de Noël, ou sur le jour de chasse. Il y a un million de chasseurs en France. La question, c’est comment peuvent-ils travailler avec les écologistes pour préserver notre biodiversité ? Nous devons fédérer des citoyens, qui par des voies diverses - et ils ont le droit - aiment la nature. La chasse est très symptomatique d’une société qui n’arrive pas à se parler pour essayer simplement de se comprendre et d’avancer.
Ce début de campagne a été dominé par les extrêmes. Faites-vous une nuance entre Eric Zemmour et Marine Le Pen ?
J’ai du mal à faire des nuances avec des personnalités sans nuance. Je ne partage rien de leurs projets. Au-delà de ce qu’ils disent, Eric Zemmour et Marine Le Pen portent le rejet ou la haine de l’autre, la peur et le repli sur soi. Je ne connais pas, dans l’histoire de l’humanité, de tels projets politiques qui n’aient pas mené au pire, en premier lieu aux malheurs des plus fragiles d’entre nous.