François Bayrou : " Si un ou plusieurs des candidats principaux étaient écartés de l’élection par manque de signatures, le tsunami serait terriblement dangereux "
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au journal Le Figaro.
Par Tristan Quinault-Maupoil et Albert Zennou
LE FIGARO. - Le président de la République tarde à se déclarer et les oppositions le lui reprochent…
François BAYROU. - Convenons que sa candidature n’est un secret pour personne. Mais l’exercice de la fonction comme la situation internationale exigent un engagement qui ne soit pas à éclipses. Qui peut dire que, pour autant, le débat politique n’existe pas? Ce débat est patent, il est ouvert et il est violent. Les critiques sont virulentes et constantes et chaque candidat déploie ses propositions, parfois si déraisonnables qu’on a du mal à les prendre au sérieux. Si tout cela tombe à plat, c’est parce que les Français lisent très bien la situation. Qui peut voir des gestes électoraux dans ce qui se passe en Ukraine? Dans les entretiens avec Poutine? Dans la gestion de l’Union européenne face à de telles crises? Mais que les impatients en soient persuadés, le temps des affrontements directs viendra.
En attendant, aucun thème de campagne ne s’impose. N’est-ce pas un problème démocratique?
D’habitude, les oppositions sont audibles. Cette fois, elles ne le sont pas, parce que les citoyens les perçoivent divisées et décalées, sans réelle crédibilité.
Mais une campagne présidentielle ne peut pas se résumer aux seuls enjeux internationaux…
Non, mais ces enjeux sont révélateurs: il est des moments où l’Histoire frappe à la porte, et juge ceux qui en ont la charge. La conférence de presse du président de la République et de Vladimir Poutine, c’était un évènement d’une telle charge dramatique et historique qu’il restera dans les annales. C’était le choc de deux caractères porteurs l’un et l’autre d’un destin pour leur pays et leur civilisation. Emmanuel Macron portait la conception européenne des choses avec une solidité et une franchise incroyables tout en veillant à toujours laisser à son homologue russe une porte pour sortir du piège. Et tout cela après un dialogue de 6 heures en tête-à-tête sans conseiller. Il y aura un avant et un après cet épisode. Et une question s’imposait à tous les esprits: imaginait-on un autre des candidats à sa place?
Pour l’heure, c’est à droite que la campagne est la plus vive. Le point de bascule de l’élection s’y trouve-t-il?
Non. Le point de bascule de cette élection c’est l’appréciation par les Français du leadership du président de la République. En matière internationale, ils l’ont sous les yeux. Si le retrait des troupes russes stationnées à la frontière ukrainienne se vérifiait, ça aurait évidemment une valeur. Et en matière de lutte contre l’épidémie, la majorité des Français lui fait crédit de son action. En matière d’emploi, de croissance, de défense du revenu, les résultats acquis sont tels que partout dans le monde on cite la France en exemple. Tout cela, qui est majeur, n’échappe à personne.
Vous dites cela après le meeting critiqué de Valérie Pécresse, dimanche au Zénith de Paris?
Je n’aime pas la cruauté des jugements. Mais ce qui est apparu dimanche a semé le doute jusque dans son propre camp. Pas d’expression puissante, pas de pensée originale et ferme. Et une dérive vers la surenchère extrémiste.
Nicolas Sarkozy semble lui aussi porter un regard sévère sur la candidate LR…
Vous voyez que Nicolas Sarkozy et moi pouvons parfois nous trouver d’accord…
Peut-il être l’atout du président en 2022, comme vous avez été l’atout de 2017?
Une alliance, quand elle est crédible et authentique, apporte un élan. Mais on ne vote pas pour des alliés: la seule chose déterminante, c’est le regard des citoyens sur celle ou celui à qui ils doivent confier la barre du navire, le cap et la méthode.
Le projet d’Emmanuel Macron sera-t-il très différent de celui de 2017?
Évidemment! Emmanuel Macron était un homme très jeune en 2017. Il avait de précieuses intuitions mais il n’avait pas cette intimité avec notre pays, cette expérience des crises qu’il traverse. Il s’est découvert et il a approfondi ses intuitions, qui deviennent maintenant de profondes convictions.
Quelles devraient être les grandes lignes de sa campagne?
La grande question de la campagne c’est la défiance généralisée dans notre société: sur l’éducation, sur la démocratie, sur l’État, sur les médias, sur les scientifiques, au total, sur toute autorité, depuis trente ans, la confiance est sapée. Notre production nationale a été fragilisée et le contrat social en est menacé. Tous ces échecs depuis trente ans ont créé dans notre société une multiplication des sécessions. Le retour des questions de religion et de race, les assauts idéologiques venus des États-Unis sur la constante réécriture de l’histoire aggravent la situation et conduisent perpétuellement à une assignation à résidence dans son origine, son genre. Le rêve de certains milieux, c’est une guerre civile larvée de tous les instants, tous contre tous, qui empêche de se considérer comme compatriotes et comme concitoyens. Le président doit donc incarner l’élan vital retrouvé du pays.
Comment répondre à l’aspiration identitaire, notamment captée par Éric Zemmour?
Il est absolument légitime de vouloir transmettre son identité sans être menacé à chaque instant de la voir disparaître. L’identité française, c’est une langue, une manière de vivre, des us et des coutumes, une culture et une convivialité civique. Il est juste qu’un pays veuille se perpétuer dans son être. Mais cette identité ne peut pas se construire dans l’affrontement avec le voisin, le proche, qui partage votre banc d’usine ou d’école. Cela, c’est le contraire de l’idéal français.
Ce candidat devient-il, selon vous, l’adversaire ou le danger principal de cette élection?
Je ne crois pas. La société française a en elle des ressources pour conjurer ces risques. Les Français ne se laisseront pas entraîner dans ces excès.
Comment expliquez-vous la diffusion de l’idée de «grand remplacement»?
Sous ce vocabulaire, il y a un combat idéologique. Une partie de la société française se sent déstabilisée quand elle est confrontée à des manières d’être, à des interpellations, à des vêtements, à des comportements qui ne correspondent pas à leur patrimoine. De là à participer à une guerre civile, non, ça ne se fera pas. Nulle part dans le monde depuis qu’il existe, nulle part et jamais la guerre civile n’a apporté quelque chose de bon. L’extrémisme n’a jamais apporté rien de bon. Ni la radicalité absolue. Ça ne sert qu’à faire monter la tension et l’exaspération avant de conduire à des impasses mortifères.
La Cour des comptes alerte sur l’avenir des comptes publics. Vous n’êtes plus aussi mobilisé sur le sujet?
Aujourd’hui, il y a une différence majeure: nous avons accès à de la dette à 0% d’intérêt, quand ce n’est pas à intérêt négatif. Or une dette change de nature quand elle permet et soutient une croissance positive. La question du moment, c’est donc la reconquête de la production agricole, industrielle, intellectuelle. C’est cela la nécessaire stratégie nationale.
Mais l’épargne des Français n’a jamais été aussi importante grâce, notamment, au «quoi qu’il en coûte». Ce qui fait dire à certains qu’il faut «remettre de l’ordre dans les comptes», ou qu’il n’aurait pas fallu «cramer la caisse»…
Il y a beaucoup d’irresponsables qui jacassent. Nous étions dans un moment de guerre, il était donc justifié d’accepter une dette de guerre. Quant à l’épargne des Français, c’est une vraie chance si l’on sait retrouver la confiance. Nous devons inventer les mécanismes qui convaincront les Français d’investir leur épargne dans la reconquête de la production. Je crois qu’on peut y parvenir.
Vous avez annoncé la formation d’un collectif de maires prêts à parrainer des «grands» candidats qui seraient à la peine dans leur collecte de signatures.
Je crois que nous sommes menacés d’une catastrophe démocratique. Si un ou plusieurs des candidats principaux étaient écartés de l’élection par manque de signatures, le tsunami serait terriblement dangereux. C’est cela qui menace. Pour moi, tous les candidats principaux doivent pouvoir participer à l’élection. Les maires en sont les garants. J’ai proposé une démarche, notredemocratie.fr, qui propose à des élus de garantir la démocratie en permettant à un candidat qui n’est pas de leur bord de se présenter. Plusieurs dizaines, presque une centaine ont répondu. Huit jours avant la clôture de la collecte, nous verrons où en sont les candidats.
Avez-vous reçu d’En Marche! les garanties attendues quant à la place du MoDem dans la prochaine mandature?
La Ve République ce n’est pas le marchandage, c’est l’adhésion qui suppose la confiance. Tout manquement est interdit.
La majorité compte de nouveaux alliés, ne craignez-vous pas d’être remplacé?
La construction du centre, c’est le combat de ma vie. Notre famille politique est soudée, cohérente et respectée. Elle sera parmi les piliers principaux de la forme politique nouvelle que nous devons inventer. Cela n’est pas remplaçable.
Ensemble citoyens! ne semble pas sur de bons rails…
Nous travaillons ensemble même si le pas vers l’unité que je crois nécessaire n’est pas encore fait. Mais cette unité, protectrice de tous, est à portée de main.
Si le président est réélu, son autorité ne sera-t-elle pas contestée par sa majorité, qui pensera très vite à sa succession?
Je sais que cette sornette court partout. Ce n’est pas ainsi que je vois les choses. Le président de la République a une capacité de leadership très importante. S’il est élu, il gouvernera en plénitude pendant cinq années. Quant à ceux qui croient qu’il s’apprêterait dans cinq ans à disparaître de la scène, à mon sens, ils manquent quelque peu d’intuition. Celui qui, dans cet océan de difficultés, s’est trouvé en charge du destin de son pays, celui-là ne s’en détourne pas à 48 ans.
Vous n’avez pas pu être ministre pendant l’intégralité de ce quinquennat qui s’achève. Qu’en sera-t-il si le président est réélu?
C’est vraiment une question qui est loin de moi. Je n’ai jamais pensé à l’avenir en termes personnels.