« Je crois au triptyque : un président fort, un gouvernement fort, un Parlement fort »
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au journal Le Figaro.
Propos recueillis par Loris Boichot et Tristan Quinault-Maupoil
LE FIGARO.- Comment analysez-vous la réélection d’Emmanuel Macron (58,54% des voix) face à Marine Le Pen (41,46%)?
FRANÇOIS BAYROU.- C’est une victoire triplement historique. D’abord, parce qu’aucun président de la République, depuis de Gaulle, n’a été réélu alors qu’il exerçait réellement le pouvoir. Ensuite, parce que cette réélection intervient alors que le pays traverse une série de crises comme nous n’en avions pas connu depuis des décennies - les «gilets jaunes», une épidémie mondiale, la guerre en Europe. Enfin, un tel écart entre les deux candidats - plus de dix-sept points, et plus de 5 millions de voix -, c’est du jamais vu depuis 2002 (hors 2017, NDLR). Cette seule évidence ruine toutes les critiques sur l’illégitimité présumée de cette élection. Cela montre aussi que notre pays a des ressources républicaines profondes. Il n’a pas voulu laisser déraper son destin.
Macron a perdu 2 millions de voix en cinq ans. Cette plus faible assise vous inquiète-t-elle?
Non. Conserver une telle avance au travers de telles crises, c’est un exploit. C’est plus en pourcentage que Mitterrand et que de Gaulle lui-même en 1965. C’est plus en nombre d’inscrits que Pompidou, un des présidents les plus solides de la Ve République. Certes, cette victoire ne signe pas une approbation sans conditions. Ce socle ne vaut que par ce qu’on en fera. Mais cela peut marquer le point de départ d’un ressaisissement national. Le germe d’un nouveau rapport civique dans le pays.
«Ce vote m’oblige», a dit Macron, ouvrant une «ère nouvelle». Que cela représente-t-il?
Un nouveau mode d’exercice du gouvernement et du rapport entre les gouvernants et le peuple citoyen. C’est presque une question d’écologie politique. Beaucoup de responsables, en France, ont le fantasme du passage en force, et de Mme Thatcher. Je crois au contraire qu’il faut d’abord poser les questions et les laisser grandir dans l’esprit des citoyens avant de les résoudre. Vaclav Havel, parlant des impatients en politique, disait: «Ils sont comme ces enfants qui, pour faire pousser les arbres plus vite, leur tirent sur les feuilles». L’épreuve de force de but en blanc n’est plus adaptée aux sociétés contemporaines. Il y a tout un travail de maturation civique à mener avec les Français. Il faut convaincre pour entraîner, sans perdre de temps, mais convaincre. Et si au bout du compte il y a conflit, alors, et alors seulement, il peut être assumé et tranché, y compris par référendum.
Comment trouver ce nouveau «mode de gouvernement»?
Dans notre équilibre institutionnel, je crois au triptyque: un président fort, un gouvernement fort, un Parlement fort. Je n’ai jamais approuvé les spéculations de ceux qui voulaient supprimer la fonction de premier ministre. Jamais. Il faut une harmonie, une stéréophonie entre les deux figures de l’exécutif ; une profonde complicité ; et un effort pour rendre passionnants la vie parlementaire et le débat politique. Cet état d’esprit, c’est la clé du retour de l’engagement dans notre démocratie. Si le débat politique est disqualifié, c’est la guerre civile larvée, le désordre et l’impuissance.
Êtes-vous disponible pour remplir cette fonction?
Je ne parle jamais pour moi. Je parle de ce que je vois être l’intérêt vital du pays en ces temps de lourdes crises.
Au sommet de l’État, faut-il un retour des politiques face aux technocrates?
L’inquiétude si profonde de la société française exige une sensibilité, une vision, un enthousiasme, une capacité d’entraînement politique. Et l’articulation entre politique et technique en sera ainsi heureusement rétablie. Plus que jamais dans la Ve, on a besoin d’un nouvel équilibre pour rapprocher le pouvoir du peuple. Le pouvoir doit être incarné, dans une figure entraînante et bienveillante. Le président est l’inspirateur et il doit être aussi, d’une certaine manière, le recours du peuple, à la fois prescripteur et médiateur. Dans notre histoire nationale, le mythe de Saint-Louis, d’Henri IV, s’est construit ainsi, et d’une certaine manière Mitterrand avait très bien compris cela.
Le président souhaite un planificateur de l’écologie à Matignon. Sous quelle forme?
Dieu sait que je n’envie pas le régime chinois, sauf sur un point: ils s’obligent à penser à trente ans. Nous, nous pensons trop souvent à trente jours. Quand ce n’est pas à trente heures. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité la renaissance d’un Haut-commissariat au Plan. Dans les sociétés chahutées comme les nôtres s’impose l’impératif de «gouverner c’est prévoir». On fixe des objectifs, on précise des étapes, on mobilise les moyens. C’est cela la nécessité de planification. Le président a relevé ce défi.
Quelle conception de l’écologie l’exécutif devrait-il défendre?
Il y a trois certitudes. D’abord, l’exigence d’une production d’énergie abondante et compatible avec une réduction des gaz à effet de serre. C’est la question de l’articulation entre des sources d’énergie renouvelables, qui sont intermittentes, et les sources pilotables, disponibles, qu’on injecte dans le réseau quand il le faut. D’où la place retrouvée du nucléaire, sur laquelle le Plan est intervenu l’année dernière. Ensuite, le combat pour la biodiversité, sur lequel nous n’avons pas encore assez avancé, autour des pratiques d’agrobiologie. S’ajouteront à cela des questions de mode de vie, une exigence de frugalité, de refus du gaspillage, de l’économie circulaire comme on dit. Tous ces chantiers sont compréhensibles par nos concitoyens et gérables car ils ne se perdent pas en mots creux.
Peut-on mener une ambitieuse politique écologique sans provoquer des crispations dans les «territoires», comme lors des gilets jaunes?
L’erreur de l’époque a été de concentrer la politique écologique sur la taxe carbone et donc sur une augmentation rapide du prix des carburants. Il faut une réflexion plus large que cela. Le social n’est pas étranger à l’écologie. Je n’oublie pas que le mot «écologie» vient de «oikos» - la «maison», en grec. L’écologie nous oblige à nous occuper de notre maison commune dans tous ses aspects. La responsabilité sociale n’est pas distincte de la responsabilité écologique.
Faut-il faire adopter la proportionnelle par référendum?
La question de la représentativité est essentielle, je le plaide depuis longtemps. Il faut la traiter sans traîner, mais sans précipitation excessive. Je suis heureux que le président n’écarte pas a priori l’usage du référendum. Ce peut être une solution, et pas seulement sur ce sujet: les retraites peuvent aussi conduire à une consultation des Français, s’il y avait menace de blocage du pays. Mais il faut délier ce type de consultation, pour qu’il ait du sens, de la mise en cause du chef de l’État.
Vous avez obtenu une centaine d’investitures MoDem aux législatives de 2017, grâce auxquelles vous disposez aujourd’hui de 57 députés sur 577. À l’aube des investitures, est-ce pour vous un minimum?
La place du MoDem, c’est le MoDem qui la gagne lui-même. Je ne quémande et nous ne quémandons jamais. La Ve République, ce n’est pas du chantage. La Ve République, c’est une adhésion. Le MoDem est un parti soudé, organisé, constitué, avec une histoire et une grande liberté de penser. Nous serons donc un élément de repère de la majorité. Pas des frondeurs qui ouvrent un conflit public et s’engagent dans une voie d’affaiblissement. Quand vous croyez à quelque chose, vous le partagez avec un partenaire. Alors votre place est évidemment reconnue. Et les dernières années ont fait la preuve de cette solidité.
À quoi doit ressembler le «grand mouvement politique d’unité et d’action» souhaité par Emmanuel Macron?
L’UDF, sous forme de confédération ou de fédération, était une bonne forme d’organisation. L’UMP, parti unique, ne l’était pas. Il faut impérativement de l’unité et du pluralisme. Je crois toujours à ce que j’ai dit en 2002, au moment de la fondation de l’UMP: si on pense tous la même chose, on ne pense plus rien. Ce qu’il faut éviter, c’est la surenchère et le chantage perpétuel. Tomber dans ces travers, c’est détestable. Et mortel! Ceux qui s’y emploient ne se battent pas pour leurs convictions, mais pour leur intérêt ou leur clan.
Faut-il une fusion claire entre le MoDem et LREM?
Plusieurs dizaines de députés LREM ont été, à un moment de leur vie, membres du MoDem. Nous sommes très proches. Peut-on organiser cela de manière claire, en sauvegardant l’histoire, le patrimoine matériel et moral de ces deux courants? Je pense que c’est possible. C’est surtout souhaitable. Le mouvement Ensemble citoyens! est une première étape, mais ce n’est pas suffisant. Nous devons maintenant nous atteler aux investitures pour les législatives. Les quelques problèmes d’organisation qui sont devant nous se résoudront d’eux-mêmes.
Ce mouvement doit-il aboutir avant les élections législatives?
Oui, c’est cette organisation qui doit donner les investitures aux candidats.
Serait-il pertinent d’avoir plusieurs groupes parlementaires de la majorité à l’Assemblée?
Si vous n’avez qu’un seul et pléthorique groupe majoritaire et six petits groupes d’opposition, les règles du temps de parole à l’Assemblée sont telles que les minoritaires peuvent s’exprimer sept fois plus que la majorité qui soutient le gouvernement. Qui trouverait cela logique? Le pluralisme, c’est la vie de la démocratie. Pour ma part, c’est ce que je défends.
La justice vient de clore ses investigations dans l’affaire d’emplois présumés fictifs d’assistants parlementaires MoDem. Vous êtes toujours mis en examen, ce qui vous a entravé lors du précédent quinquennat. Qu’en est-il maintenant?
Cette instruction dure depuis cinq ans! Cinq ans! Et je ne peux que répéter que ces accusations sont absolument infondées et que toutes les preuves ont été apportées qu’il n’y a jamais eu d’emplois fictifs. Mais je sais aussi les dégâts humains irrémédiables qui ont été provoqués par cette affaire mensongère. Et je mesure le gâchis.