Jean-Louis Bourlanges : "Cet accord européen est bien historique"
Jean-Louis Bourlanges, député des Hauts-de-Seine, a répondu aux questions de Paul Sugy dans Le Figaro sur le plan de relance européen, mené par une dynamique du couple franco-allemand. Extraits.
Le Figaro - Emmanuel Macron a qualifié d’"historique" l’accord européen prévoyant un plan de relance ambitieux. Ce qualificatif est-il justifié ?
Jean-Louis Bourlanges - Le mot "historique" est d’ordinaire galvaudé. C’est un label qui depuis vingt ans est attribué aux accords européens successifs pour une seule raison : ils sont tous obtenus au forceps. Comment en serait-il autrement avec un système institutionnel totalement débile qui suppose, pour toute décision de quelque importance, l’accord unanime des gouvernements et la ratification de tous les Parlements des États ? Une gageure. Aujourd’hui pourtant le mot n’est pas utilisé à tort, car l’accord qui vient d’être obtenu a révélé la détermination allemande, non pas seulement à préserver l’acquis européen mais surtout à reprendre la marche en avant sur la voie d’une union sans cesse plus étroite. C’est la vraie réponse du couple carolingien au Brexit et la promesse - sera-t-elle tenue ? - d’une solidarité retrouvée face aux grands enjeux économiques et géopolitiques auxquels l’Europe est confrontée.
En accélérant l’intégration budgétaire des États membres, cet accord va-t-il révolutionner les finances publiques au sein de l’Union ?
Beaucoup de chemin a déjà été parcouru. Ceux qui dénoncent à longueur de temps l’hégémonie et la rigidité allemandes seraient bien avisés de reconnaître qu’en dix ans l’Allemagne a accepté à notre appel trois inflexions qui n’avaient pas initialement sa faveur : la politique de rachat par la BCE des dettes souscrites par les États fragiles, la reconnaissance par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) du lien nécessaire entre le niveau de rigueur budgétaire et l’état de la conjoncture économique, et désormais la mise en place de transferts budgétaires massifs de solidarité.
Nous sommes toutefois encore loin du compte. La résistance des États "frugaux", c’est-à-dire des États "radins", comme Daniel Cohn-Bendit et moi les avions qualifiés il y a déjà vingt ans, avait quelque chose de surréaliste : on demande à l’Europe de tout faire et on interdit au budget européen de franchir la barre de 1 % du PIB alors que nos budgets nationaux sont partout supérieurs à 40 % des produits intérieurs et qu’en France les dépenses publiques sont supérieures à 55 % du nôtre. C’est le pâté de cheval et d’alouette : cheval national et alouette européenne ! Pour être à la hauteur des enjeux, il faudra qu’on se mette un jour à sérieusement réfléchir, en termes de subsidiarité, c’est-à-dire d’efficacité, aux dépenses publiques qui mériteraient d’être assumées au niveau européen et à celles qui doivent continuer de l’être au niveau des États et des collectivités territoriales. Il ne doit pas s’agir de dépenser plus, mais de répartir mieux.
Cette avancée sera-t-elle suffisante pour garantir un avenir pérenne à l’union monétaire, fragilisée par la crise et l’atonie de nombreuses économies nationales en Europe ?
Nous vivons une situation paradoxale : la convergence économique Est-Ouest entre pays de l’euro et, pour l’essentiel, pays hors euro, a relativement bien fonctionné ces dernières années. Les divergences Nord-Sud, pour l’essentiel internes à la zone euro, se sont en revanche sensiblement accrues. C’est la preuve de l’impossibilité structurelle, dans le cadre d’un marché intégré, d’une union monétaire qui ne s’accompagnerait pas de transferts budgétaires et de politiques communes destinés à compenser le handicap des États périphériques par rapport aux États centraux. En niant cette réalité, Mark Rutte et ses amis ne sont pas seulement frugaux ou radins, ils sont myopes et font courir à l’Union un risque d’éclatement qu’ils sous-estiment. Je maintiens que la devise de l’Union, celle qui explique tous ses succès, c’est : "Égoïsme bien ordonné commence par les autres."