Jean-Noël Barrot : "Le fantasme impérialiste de Poutine ne se limite pas à l’Ukraine"
Dans les colonnes du JDD, notre ministre chargé de l'Europe, Jean-Noël Barrot revient sur la guerre en Ukraine et la réponse européenne de soutien.
Le JDD. Ces élections européennes interviennent alors que la guerre est à nos portes. L’idée d’une confrontation directe avec la Russie – comme a semblé l’évoquer le président Macron – est une réalité qu’il serait fou d’ignorer ?
Jean-Noël Barrot. Le combat des Ukrainiens, c’est aussi le nôtre. En résistant à l’envahisseur, ils se battent pour la sécurité de l’Europe et de la France, car le fantasme impérialiste de Vladimir Poutine ne se limite évidemment pas à l’Ukraine.
En rassemblant à Paris vingt-sept chefs d’État et de gouvernement, le président de la République a démontré l’unité et la détermination de ces pays à faire plus, mieux et différemment pour répondre aux besoins de la résistance ukrainienne.
Ce serait une faute grave que d’exclure de débattre des options qui sont les nôtres. Il serait coupable de céder à l’esprit de capitulation. Notre fermeté face à Vladimir Poutine est la garantie de notre sécurité.
La France pourrait-elle assumer un choix militaire, en politique étrangère, indépendamment de l’Union européenne ?
La politique étrangère relève de la souveraineté nationale et du président de la République, mais je vous rappelle que depuis le début de la guerre en Ukraine, nous avons agi au sein de l’Union européenne en concertant tous nos partenaires. Cette unité fait notre force.
L’Europe de la défense reste encore aujourd’hui soumise au bouclier de l’Otan. Ces élections doivent-elles être l’occasion de proposer une vraie armée ou défense européenne ?
Dans son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron a dessiné les contours d’une Europe de la défense. Elle est montée en puissance avec l’initiative européenne d’intervention, qui a créé les bases d’une culture stratégique commune. Elle s’est amplifiée au Sahel avec des coalitions pour lutter contre le terrorisme. Elle a pris une tout autre dimension depuis le début de l’agression russe en Ukraine, en particulier avec la Facilité européenne de paix (Fep). La Fep a permis de financer la formation des soldats ukrainiens, de céder du matériel militaire à l’Ukraine, et nous permet aujourd’hui des opérations d’achats et de productions conjointes.
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Observez-vous un regain des cyberattaques en provenance de la Russie ? Cela peut-il avoir un impact sur le cours des élections ?
Depuis deux ans, la France est la cible d’une volonté d’agression de la Russie dans plusieurs domaines, dont l’information et l’informatique. À l’approche des élections européennes et des Jeux olympiques, ces attaques pourraient se multiplier.
Le 12 février dernier, Stéphane Séjourné a révélé l’existence de près de 200 sites russes dormants prêts à diffuser massivement de fausses informations en quelques clics. Rappelons-nous que l’élection nationale slovaque a été déstabilisée par la diffusion, la veille du scrutin, d’un faux enregistrement impliquant l’un des candidats dans une manipulation électorale.
Le régime de Poutine durcit sa posture, nous durcissons notre réponse. Nous ne les laisserons pas perturber le débat public ni s’en prendre à nos services publics. J’appelle chacun d’entre nous à être particulièrement vigilant.
Certains partis politiques mettent en cause la politique agricole commune (Pac) dont bénéficient nos agriculteurs. Plutôt que de subventionner notre modèle, ne vaudrait-il pas mieux le rendre plus concurrentiel avec moins de normes ?
La France est une grande nation agricole parce que l’Europe est puissante. L’agriculture est le premier budget européen et la France en est le premier bénéficiaire. 450 000 agriculteurs français bénéficient de 9 milliards d’euros par an de la politique agricole commune, qui protège notre modèle, accompagne les transitions et contribue à notre souveraineté et à notre sécurité agroalimentaire.
Durant la crise agricole, on a pu entendre de nombreuses critiques sur l’Union européenne émanant des agriculteurs, mais le gouvernement a toujours maintenu son attachement à l’Europe.
Il est néanmoins urgent de simplifier la Pac pour libérer nos paysans de leurs entraves.
Le gouvernement a obtenu de la Commission européenne qu’elle présente vingt premières mesures de simplifications et maintiendra la pression autant que nécessaire.
L’ancien patron de Frontex a rejoint la liste RN aux européennes, ce ralliement est politiquement lourd de sens. Quelle conclusion l’Union européenne doit-elle en tirer ?
Ce qui est lourd de sens, c’est de recruter un ancien fonctionnaire qui a fait l’unanimité contre lui au sein de l’agence qu’il dirigeait, et qui a préféré démissionner plutôt que d’affronter l’enquête pour fraude et faute grave dont il faisait l’objet.
Depuis la présidence française du Conseil de l’UE en 2022, nous avons fait aboutir le pacte asile-migration, qui renforce notre capacité à protéger efficacement les frontières extérieures de l’UE, en particulier avec des procédures obligatoires aux frontières et des moyens renforcés : enregistrement, filtrage, non-admission, retours.
Ce n’est qu’en agissant entre Européens que nous mettrons fin à l’« Europe passoire ».
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Vous dites que le RN n’a pas combattu l’immigration en Europe ?
Jordan Bardella n’a rien combattu en Europe car il a déserté le Parlement européen. Déposer 21 amendements en cinq ans, c’est déshonorer le mandat que lui ont confié les Français il y a cinq ans.
Sur les sujets migratoires, son bilan, c’est d’avoir voté contre le pacte asile-migration et contre le budget de l’agence Frontex de protection des frontières. Incohérence ou hypocrisie, dans les deux cas, c’est déplorable.