📰 « Lancer la reconquĂȘte de l'appareil productif français, ce sera le dĂ©fi majeur de la dĂ©cennie qui vient »   

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Retrouvez ci-dessous l'entretien que François Bayrou a accordé au Journal du dimanche.

Propos recueillis par David Revault d’Allonnes

En quoi la crise du Covid a-t-elle souligné nos carences en matiÚre de souveraineté ?

Ç’a Ă©tĂ© une prise de conscience brutale : nous nous sommes rendu compte qu’un nombre surprenant d’équipements essentiels – masques, gants et blouses – n’étaient pas disponibles ; et qu’un certain nombre de mĂ©dicaments essentiels – anticancĂ©reux, antibiotiques, anti-inflammatoires, anesthĂ©siants – avaient Ă©tĂ© trĂšs prĂšs de manquer. Voir un grand pays mĂ©dical comme la France menacĂ© de rupture sur les produits pharmaceutiques les plus nĂ©cessaires, c’est inimaginable. C’est le constat qu’a fait le prĂ©sident de la RĂ©publique, et ce constat a contribuĂ© Ă  la renaissance d’un Commissariat au Plan.

Quelles sont vos premiĂšres pistes ?

L’État a le devoir de garantir les produits vitaux. Depuis vingt ou vingt-cinq ans, on a vu nombre de productions vitales s’en aller ailleurs qu’en Europe. Nous avions en Bretagne, jusqu’en 2018, une unitĂ© de production de masques, jusqu’à 200 millions par an. Cette usine, rachetĂ©e par une multinationale amĂ©ricaine, a Ă©tĂ© fermĂ©e il y a deux ans ! C’était sans doute l’intĂ©rĂȘt de l’entreprise, ça compte, bien sĂ»r, mais l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, c’est encore plus important. Il nous faut un plan national de mobilisation pour garantir les produits vitaux. Donc, la premiĂšre chose Ă  faire, c’est de dĂ©terminer ce qui est vital. Dans la pharmacie, dans la chimie, dans l’agriculture, dans l’électronique, il y a des intrants essentiels dont le manque est inacceptable. Les autres questions suivront : quel est l’essentiel en cas de crise ? Peut-on constituer un stock suffisant ? Peut-on s’organiser afin d’avoir plusieurs fournisseurs et ne pas dĂ©pendre d’un seul ? Peut-on relocaliser ces productions chez nous, ou en tout cas en Europe ? C’est une stratĂ©gie nationale dont nous avons besoin.

Quels produits doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme vitaux ?

Les mĂ©dicaments, un certain nombre de composants Ă©lectroniques, des intrants pour l’agriculture, les matiĂšres premiĂšres concernant le nuclĂ©aire ou le secteur de la fibre optique, les hormones dans le domaine pharmaceutique.

Comment s’organiser ?

Il n’y a pas que les produits vitaux, il y a aussi les filiĂšres stratĂ©giques. Un certain nombre d’entre elles sont des filiĂšres clĂ©s qui mĂ©ritent protection et soutien. Par exemple, tout ce qui touche Ă  l’eau, Ă  la cybersĂ©curitĂ© des entreprises, Ă  l’énergie, aux tĂ©lĂ©communications, Ă  l’agroalimentaire, aux produits pharmaceutiques
 C’est entre l’État, stratĂšge et fĂ©dĂ©rateur, et les industriels, qui sont les acteurs, que cette protection doit s’organiser comme un impĂ©ratif national.

N’est-il pas dĂ©jĂ  trop tard pour l’industrie française ?

Non, non et non ! Accepter cette idĂ©e, ce serait une capitulation. Nous avons aujourd’hui une prise de conscience. Des centaines de milliards ont Ă©tĂ© dĂ©pensĂ©s pour soutenir les entreprises et les foyers. Mais tout le monde a compris qu’on ne peut pas soutenir financiĂšrement un modĂšle social si gĂ©nĂ©reux si on n’a pas l’appareil de production qui permet de le financer par les impĂŽts, taxes et cotisations. Or, de ce point de vue, la France est en situation critique. La part de l’industrie dans le PIB de la France, c’est 13 %. En Allemagne, c’est 25 % ! Et en Italie, 19 % ! Lancer la reconquĂȘte de l’appareil productif français, ce sera le dĂ©fi majeur de la dĂ©cennie qui vient.

Vous avez longtemps dĂ©fendu l’équilibre budgĂ©taire. Ne faut-il pas sortir du « quoi qu’il en coĂ»te » ?

J’ai dĂ©fendu l’équilibre et j’avais raison. Mais nous sommes entrĂ©s dans des temps nouveaux. Les grandes banques centrales du monde, Ă  la suite de la banque centrale amĂ©ricaine, ont choisi de privilĂ©gier le financement de l’économie rĂ©elle en baissant leurs taux jusqu’à zĂ©ro, « quoi qu’il en coĂ»te », avec un seul but : le plein-emploi. C’est une rĂ©volution et ça a tout changĂ©. Ce sont des facilitĂ©s de crĂ©dit dont auraient rĂȘvĂ© toutes les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes. C’est, en mĂȘme temps, l’entrĂ©e dans une concurrence mondiale encore plus dure ! Il faut avoir le meilleur appareil de production pour approcher du plein-emploi. Et c’est dĂ©sormais Ă  nous de le reconstruire !

Que faire de la dette Covid ?

Il faut rĂ©pondre prĂ©cisĂ©ment Ă  cette question. Car beaucoup de Français se disent :« Mais d’oĂč vient cet argent ? ». Et ils s’inquiĂštent. Il faut dire ceci : ce n’est pas une dette comme les autres. C’est un accident historique. Personne n’en a la responsabilitĂ©. Le coronavirus, personne ne l’a inventĂ©. Je propose donc que la dette Covid soit prĂ©cisĂ©ment circonscrite, isolĂ©e, placĂ©e Ă  part, qu’on se donne dix ans pour se redresser, avant de commencer Ă  la rembourser sur une longue pĂ©riode, peut-ĂȘtre trente ou cinquante ans.

L’ampleur de la crise permet-elle encore des rĂ©formes ?

Il le faudra, mais chaque chose en son temps. Notre pays affronte un traumatisme sans prĂ©cĂ©dent. Il a besoin d’ĂȘtre remis en marche, confortĂ© et rassurĂ©. Le calendrier de l’action politique doit se concentrer autour de deux prioritĂ©s : la sĂ©curitĂ© sanitaire et la renaissance de l’économie et des emplois.

Donc pas de réforme des retraites ?

Une rĂ©forme aussi vitale, mais aussi difficile et exigeante, je ne vois pas bien comment on pourrait la mener Ă  bon port avant d’avoir remis notre pays sur les rails.

Emmanuel Macron a Ă©voquĂ© un rĂ©fĂ©rendum pour l’inscription dans la Constitution du respect de l’environnement. Qu’en pensez-vous ?

Cette idĂ©e du PrĂ©sident, sans qu’on y ait prĂȘtĂ© attention, porte en germe un changement profond dans notre dĂ©mocratie. C’est une idĂ©e diffĂ©rente du rĂ©fĂ©rendum. Jusqu’à maintenant, c’était une question de confiance sur un problĂšme majeur, posĂ©e au pays par un prĂ©sident. Mais cet enjeu, confiance au prĂ©sident ou censure, dĂ©nature la question. Il nous faut une respiration dĂ©mocratique : un vote qui permette aux Français d’exprimer directement leur prĂ©fĂ©rence sur des sujets importants. Le rĂ©fĂ©rendum « plĂ©biscite » ou « censure » devient un rĂ©fĂ©rendum optionnel : « Je vous propose une option, mais vous ĂȘtes libres, je suis prĂȘt Ă  suivre le choix que vous ferez. » C’est un tĂ©moignage de confiance fait au pays.

Le chef de l’État rĂ©flĂ©chit Ă©galement Ă  l’instauration d’une dose de proportionnelle. Y ĂȘtes-vous toujours favorable ?

C’est l’élĂ©ment dĂ©terminant d’un changement de climat politique pour le pays. C’est un moyen de pacifier notre dĂ©mocratie, et c’est un choix de justice. Le PrĂ©sident, qui a des pouvoirs trĂšs importants, est Ă©lu Ă  la majoritĂ©. C’est lui qui forme le gouvernement. Mais au Parlement, il faut un Ă©quilibre : tous les grands courants du pays doivent ĂȘtre reprĂ©sentĂ©s, Ă  la dimension de leur influence. Cela rassurera les citoyens, rendra la vie politique intĂ©ressante et juste.

Le systĂšme oĂč tous les siĂšges peuvent ĂȘtre attribuĂ©s Ă  un camp, Ă  une voix prĂšs, produit de la brutalitĂ©. Il faut faire dĂ©tester l’adversaire ! Regardez l’AmĂ©rique aujourd’hui. En Allemagne ou en Suisse, le climat dĂ©mocratique est beaucoup plus apaisĂ©. Et c’est une question de justice : Marine Le Pen, dont je ne partage pas les idĂ©es, est allĂ©e au second tour de l’élection prĂ©sidentielle, a obtenu 34 % et revient Ă  l’AssemblĂ©e nationale avec six dĂ©putĂ©s, soit 1 % des siĂšges ! Et pour moi en 2007, avec quelque 19 %, nous sommes revenus avec trois siĂšges. C’est totalement anormal. Cela empĂȘche l’expression naturelle du pays, mais aussi un dialogue respectueux, pacifique entre les formations politiques.

Retrouvez cet entretien sur le site du Journal du Dimanche.

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