Marc Fesneau : "Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire est un ministère régalien qui doit s’assumer"

Emmanuelle Ducros pour l'Opinion

Pour l’Opinion, le nouveau duo du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau et Agnès Pannier-Runacher, dessine sa feuille de route. Comment sortir de la crise et accélérer les transitions écologiques sans sacrifier la souveraineté alimentaire.

L'Opinion : Deux ministres pour s’occuper de l’Agriculture, la situation est inédite. Comment allez-vous vous répartir le travail en cette période de crise et de transformations profondes ?

Marc Fesneau :

J’avais demandé du renfort, celui d’Agnès Pannier-Runacher est le bienvenu. Nombre de sujets ont émergé avec la planification écologique et son expérience des questions industrielles et énergétiques est précieuse.

Elle va s’occuper des dossiers biomasse, agrivoltaïsme, décarbonation, sobriété des intrants, recherche et développement, la déclinaison agricole du travail effectué pour l’industrie dans France 2030. L’innovation, les exportations, les signes de qualité, les industries agroalimentaires et les négociations commerciales seront également ses sujets prioritaires.

Je prendrai en charge les filières animales et végétales, les aspects sanitaires et la santé animale, la forêt et la Politique agricole commune. Je continuerai aussi à travailler sur les sujets européens, avec nos homologues. Enfin, certains sujets nécessitent notre travail à tous deux, comme le suivi de la crise et la mise en place d’un système de finance carbone efficient par l’agriculture.

Quelle vision voulez-vous défendre pour l’agriculture française ?

Agnès Pannier-Runacher : L’agriculture est au cœur d’une transformation profonde, avec des sujets de court terme et de long terme à mener de front. Depuis la Covid, je tire le même fil : celui de la souveraineté. Notre industrie, notre agriculture ont résisté au choc, mais on a bien vu que nous avions des vulnérabilités plus marquées que ce que nous croyions. Nous avons mesuré la fragilité induite par la crise sanitaire, mais le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité et les tensions géopolitiques sont de nouvelles sources de fragilité. Nous devons sécuriser la capacité à nourrir les populations françaises, européennes, mais aussi des populations dans des pays importants d’un point de vue géopolitique. Il faut faire cela sans renoncer à la lutte contre le dérèglement climatique, car sans cela, nous ne sauverons ni notre souveraineté, ni notre Agriculture, ni nos agriculteurs.

Nous soutenons, Marc et moi, le fait que le ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire est un ministère régalien qui doit s’assumer.

Quelles réponses pouvez-vous apporter aux agriculteurs qui désespèrent, qui ne savent plus ce qu’on attend d’eux, qui se sentent empêchés ?

MF : Le travail se situe sur plusieurs fronts. Il y a déjà eu des réponses aux situations urgentes : maladie hémorragique épizootique (MHE) des bovins, crise viticole, indemnisations après les tempêtes Ciaran et Domingos.

Nous avons entrepris un travail de fond de simplification ou sur le GNR. On avance sur tous les fronts. Pour la simplification, nous savons que les attentes sont fortes, nous accélérons. Le décret pour la simplification des recours sur les installations classées a été envoyé au Conseil d’Etat en 10 jours, c’est un record. Tout ce qui peut être fait vite et qui relève du décret le sera.

La loi d’orientation agricole sera ambitieuse.

Elle traitera comme prévu de la transmission et de l’installation des Jeunes, de la formation, mais elle va comporter autant de sujets qu’il le faudra pour redonner une vision globale agricole. Elle va, par exemple, définir la souveraineté alimentaire comme un sujet d’intérêt général, ce qui permettra d’éclairer nos arbitrages et de les combiner avec d’autres enjeux. Les sujets des haies, des installations hydrauliques, des bâtiments d'élevage, et même des chiens de troupeaux seront traités dans la loi sur le volet de la simplification.

(...)

L’Europe concentre beaucoup de rancœurs agricoles. Comment la défendre ?

MF et APR :

Il ne faut pas se tromper d’ennemi. Ce n’est pas l’Europe qui est responsable du dérèglement climatique qui nous impose le changement.

Quant au Paquet vert, si décrié, il n’est pas encore en application : certes, l’Europe est allée loin dans sa réponse environnementale, cela peut s’ajuster, sans renier l’ambition. Il y a deux objectifs, en tension, qui doivent être équilibrés : un sujet de puissance et de souveraineté et un sujet de transformation fondamentale pour s’adapter au dérèglement climatique et préserver la biodiversité. Il faut savoir où placer les curseurs.

C’est, par exemple, ce que nous allons promouvoir sur les jachères obligatoires. La France vient d’obtenir une dérogation à leur implantation pour 2024 ; à l’avenir, nous souhaitons que le dispositif intègre plus de souplesse. N’oublions jamais que remplacer nos productions qui respectent des normes exigeantes par des importations de produits moins-disant environnementalement, c’est perdant pour notre souveraineté et perdant pour le climat. L’Europe importe 40 millions de tonnes de céréales, cela doit nous interroger.

La France a une voix qui porte en Europe sur les questions agricoles. Elle a été à l’origine d’impulsions majeures depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République en 2017.

Le respect de l’accord de Paris dans les négociations d’accords de libre-échange ;  l’idée des clauses miroir pour promouvoir nos standards environnementaux ailleurs sur la planète ; la réindustrialisation et la « réagricolisation » pour ne pas importer l’Agriculture dont nous ne voudrions pas ici... C’est la France qui a poussé ces sujets. Penser l’Agriculture nationalement, hors de l’Europe, est une erreur. La PAC a été un vecteur de puissance ; elle l’est toujours. Elle est aussi un moteur de transition. On aura toujours plus de poids dans la négociation d’un traité avec 450 millions d’Européens qu’avec 70 millions de Français.

 

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