đ° Proportionnelle : « Si la volontĂ© existe, on a le temps de procĂ©der par la voie parlementaire. Mais sâil y a des doutes, des interrogations, il est une chose facile Ă faire. Câest de demander aux Français ce quâils en pensent par rĂ©fĂ©rendum. »
Retrouvez ci-dessous l'entretien que François Bayrou a accordé au journal Le Figaro.
Propos recueillis par Tristan Quinault-Maupoil et Albert Zennou
LE FIGARO. - Vous avez toujours dĂ©fendu lâinstauration de la proportionnelle. Il semble que lâexĂ©cutif ne soit plus aussi dĂ©terminĂ© Ă lâimposer. Comment rĂ©agissez-vous ?
François BAYROU. - Ma certitude, câest que la France doit changer sa maniĂšre de gouverner. Aujourdâhui, lâapparence du pouvoir, câest lâhyperpuissance, tous les pouvoirs entre les mains du prĂ©sident et de la majoritĂ©. En rĂ©alitĂ©, câest le contraire: tous les jours, on dĂ©couvre des blocages nouveaux. Câest vrai pour cette majoritĂ©, câĂ©tait vrai pour les majoritĂ©s prĂ©cĂ©dentes. Car il y a une rĂ©alitĂ© qui sâimpose: on ne peut pas gouverner un pays moderne par le passage en force. Il faut construire une adhĂ©sion. Et notre fantasme national dâun homme seul avec sa majoritĂ© hĂ©gĂ©monique, nous vĂ©rifions sans cesse que câest un leurre. Tous les grands sujets de rĂ©forme se heurtent au mur de lâopinion. Le mouvement contre les retraites, les «gilets jaunes», tout cela ce sont les symptĂŽmes dâune impasse. Le Parlement est contestĂ© parce que sa composition est trop Ă©loignĂ©e de la rĂ©alitĂ© du pays. Il faut donc lâĂ©lire diffĂ©remment en prenant en compte tous les courants, mĂȘme ceux que nous nâaimons pas.
Plusieurs voix de la majorité jugent que le temps manque pour faire cette réforme. Est-elle encore possible ?
Je ne suis pas du cĂŽtĂ© de lâabandon. Le modĂšle avec lequel on vit depuis des dĂ©cennies, câest lâhĂ©gĂ©monie dâun seul parti. Est-ce que ça marche? On voit bien que non. Ce nâest pas un hasard si les deux derniers prĂ©sidents de la RĂ©publique ont Ă©tĂ© Ă©lus avec lâengagement solennel de changer le mode de scrutin. Je pense quâil y a lĂ une question dĂ©mocratique fondamentale. On a vu, ces derniĂšres annĂ©es, des scores majeurs, par millions de suffrages, Ă lâĂ©lection prĂ©sidentielle, se solder par 1 % des siĂšges Ă lâAssemblĂ©e!⊠Comment les citoyens accorderaient-ils du crĂ©dit Ă une AssemblĂ©e oĂč une majoritĂ© dâentre eux nâest pas reprĂ©sentĂ©e? Dâautant plus quâen mĂȘme temps on passe son temps Ă inventer des acrobaties dĂ©mocratiques avec des comitĂ©s tirĂ©s au sort dont on ne connaĂźt pas les membres, ni leurs idĂ©es, dont on ne sait pas comment ils sont choisis, et Ă qui on feint dâaccorder autant de crĂ©dit quâĂ une AssemblĂ©e parlementaire Ă©lue sur des visages et des projets. Ăa nâa aucun sens! Câest une atteinte profonde Ă la lĂ©gitimitĂ© de la dĂ©mocratie reprĂ©sentative. Il est temps de reprendre ce dĂ©bat.
Que suggérez-vous ?
Câest toujours pareil. Je connais bien, sous les quinquennats successifs, le parti des marches arriĂšre. Si la volontĂ© existe, on a le temps de procĂ©der par la voie parlementaire. Mais sâil y a des doutes, des interrogations, il est une chose facile Ă faire. Câest de demander aux Français ce quâils en pensent par rĂ©fĂ©rendum. Il y a eu engagement. Il faut tenir cet engagement. Je vais donc proposer Ă tous les responsables politiques intĂ©ressĂ©s, sans exception, de cosigner une lettre au prĂ©sident de la RĂ©publique pour dĂ©fendre ce changement.
Le prĂ©sident du SĂ©nat a rappelĂ© son opposition Ă la proportionnelleâŠ
Câest cocasse! Ai-je besoin de rappeler Ă GĂ©rard Larcher que les trois quarts des sĂ©nateurs sont Ă©lus Ă la proportionnelle?
Sâil devait nây avoir quâun rĂ©fĂ©rendum dâici Ă la fin du quinquennat, ce devrait ĂȘtre celui-ci plutĂŽt que sur le climat ?
Le principe de lâobligation de dĂ©fendre le climat est dĂ©jĂ dans la Constitution, par la charte de lâenvironnement constitutionnalisĂ©e en 2005.
Plus que la dose initialement évoquée, vous soutenez une proportionnelle intégrale ?
Une dose, câĂ©tait techniquement possible si on sâen Ă©tait saisi dĂšs le dĂ©but du quinquennat, mais aujourdâhui cela impliquerait un redĂ©coupage, qui apparaĂźtrait comme magouillage. Je soutiens donc la loi Ă©lectorale simple, juste, proportionnelle, dĂ©partementale pour garder un enracinement sur lâensemble du territoire, avec un seuil Ă 5 %. Comme quasiment tous les pays europĂ©ens.
Christophe Castaner ne veut pas «faire entrer 100 députés RN au Parlement». Partagez-vous ses craintes ?
Pour moi, câest un dĂ©sĂ©quilibre du raisonnement. Il nây a pas de dĂ©putĂ©s, sâil nây a pas dâĂ©lecteurs! Et ce sont les Ă©lecteurs que nous avons le devoir constitutionnel de reprĂ©senter justement. Quâils soient dâextrĂȘme droite, dâextrĂȘme gauche, du centre ou des Ă©cologistes. Jâai affrontĂ© le Front national toute ma vie sur tous les grands sujets. Mais Marine Le Pen, par la carence de ses concurrents, Ă©tait au deuxiĂšme tour de lâĂ©lection prĂ©sidentielle. Qui peut avoir le front de dire que ses 10,5 millions dâĂ©lecteurs doivent ĂȘtre rayĂ©s dâun trait de plume?
La France est Ă lâaube dâun reconfinement. Faut-il en passer par cette solution ?
Jâapprouve tout ce que le prĂ©sident de la RĂ©publique et le gouvernement font pour Ă©viter le reconfinement. Mettre le pays sous cloche, câest un grand risque. Pour la vie sociale, pour les jeunes, les familles, aussi bien que pour lâĂ©conomie, le reconfinement, câest une Ă©preuve. Mais les autoritĂ©s sanitaires ont une lĂ©gitimitĂ© que je respecte.
Faut-il un reconfinement strict avec la fermeture des Ă©coles? Ou un confinement plus souple Ă lâimage de celui de lâautomne ?
Maintenir les Ă©coles ouvertes, autant quâon le pourra, câest maintenir la sociĂ©tĂ© en vie! Cela signifie que les parents peuvent continuer Ă envisager une vie sociale et professionnelle. Mais je me fais beaucoup de souci pour les jeunes et les Ă©tudiants. Au moment de la vie oĂč la rencontre avec dâautres jeunes et les enseignants est si importante, je vois avec inquiĂ©tude les consĂ©quences dâun tel isolement. Pour moi, lâidĂ©e dâaller aussi vite que possible vers une rĂ©ouverture des universitĂ©s est primordiale.
Un plan spécifique pour la jeunesse est-il nécessaire ?
Dans ce drame, beaucoup de gens souffrent : les personnes ĂągĂ©es en Ehpad, les jeunes, les Ă©lĂšves dans des milieux dĂ©favorisĂ©s. Mais la solitude Ă cet Ăąge clĂ©, entre 18 et 25 ans, est un terrible handicap pour la formation de la personnalitĂ©. Un certain nombre dâentre eux sont perdus, trĂšs souvent dans lâincomprĂ©hension. Jâai pour eux Ă©motion et inquiĂ©tude.
Et le report des élections régionales et départementales ?
La question se pose de reporter les Ă©lections rĂ©gionales et dĂ©partementales pour des raisons sanitaires. On aura le rapport au mois dâavril. Mais ce qui me choque, câest quâil y a quelques semaines, on a splendidement Ă©cartĂ© les deux rĂ©ponses indiscutables Ă une telle situation dâĂ©pidĂ©mie, le vote par correspondance et par internet. Alors mĂȘme quâaux Ătats-Unis 100 millions de personnes ont votĂ© par correspondance!⊠Et quâen Allemagne et en Suisse cette possibilitĂ© permet Ă des scrutins de se tenir malgrĂ© lâĂ©pidĂ©mie. Le refus de toute novation, dans le monde politique français, est un symptĂŽme des nĂ©vroses dans lesquelles nous nous enfermons.
Est-ce que la France a les moyens dâun troisiĂšme confinement ? Ă titre dâexemple, lâEspagne affirme ne pas pouvoir se le permettre.
La France a Ă©tĂ©, parmi les pays du monde, le plus solidaire et le plus gĂ©nĂ©reux Ă lâendroit de tous ceux qui souffrent de la crise, entreprises, commerces, travailleurs, familles. Nous avons empruntĂ© aux conditions incroyables permises par la BCE et les autres grandes banques centrales. Je vais dans les jours qui viennent faire une communication sur cette dette dans le cadre du Haut-Commissariat au Plan. Car la dette Covid nâest pas une dette comme les autres. Câest une dette dans laquelle nous nâavons aucune responsabilitĂ©, que nous subissons, un peu comme une dette de guerre. Elle doit ĂȘtre traitĂ©e diffĂ©remment. Mais ce nâest pas la seule question. Nous devons faire simultanĂ©ment deux choses: sauver le pays, freiner la contagion et en mĂȘme temps penser ce qui sera le sujet dominant de la dĂ©cennie: la reconquĂȘte de la production française dans lâindustrie, lâĂ©nergie et lâagriculture. La pĂ©nurie de mĂ©dicaments vitaux que nous avons connue lâan dernier nous dicte une obligation morale et Ă©conomique.
Que rĂ©pondez-vous Ă ceux qui estiment quâil ne faut pas rembourser la dette ?
Si lâon se risquait Ă soutenir un tel choix, les consĂ©quences seraient trĂšs dangereuses. Les grandes banques centrales, en choisissant dâalimenter coĂ»te que coĂ»te les Ă©conomies du monde, nous ouvrent une chance historique. Car si nous nâavions pas cette capacitĂ© Ă emprunter, tous les discours sur la relance, les investissements et la reconquĂȘte nâauraient aucun sens. Mais ces emprunts doivent ĂȘtre pris au sĂ©rieux, sinon cette chance sâĂ©vaporera.
Votre campagne en 2012 avait dĂ©jĂ pour thĂšme principal «Produire en France». En une dĂ©cennie, rien nâa donc changĂ© ?
On ne peut quâĂȘtre frappĂ© par lâeffondrement de lâindustrie française. Qui ne voit la dĂ©sinvolture avec laquelle on a laissĂ© filer Ă lâĂ©tranger la production française. Un Ătat se doit dâĂȘtre inflexible pour un certain nombre de productions vitales pour le pays.
Vous approuvez donc le gouvernement quand il sâoppose au mariage entre Carrefour et un groupe canadien ?
Voir partir des fleurons de lâĂ©conomie nationale avec les centres de dĂ©cision qui vont avec est un drame national. Pour moi, la crise nous a placĂ©s Ă un tournant vital pour notre pays. Câest vrai en Ă©conomie, en politique et dans notre conception du social. Nous devons faire face Ă des rendez-vous, que nous avons voulu Ă©luder pendant longtemps, mais qui sont proprement de vie ou de mort.
La France en a-t-elle pris le chemin ?
Dans la conscience collective des Français, la crise sanitaire ne serait quâune parenthĂšse dont on pourrait, dĂšs que possible, reprendre la vie comme avant. Non seulement elle ne recommencera pas comme avant et il ne faudrait pas quâelle le puisse. De toute la nation, vient une prise de conscience de la nĂ©cessitĂ© dâun rassemblement.