Michèle Crouzet : "Stoppons cette course au prix bas, soyons de vrais consomm'acteurs. Privilégions nos producteurs, nos transformateurs et nos distributeurs français."

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La députée de l'Yonne et membre de la Commission des affaires économiques, Michèle Crouzet, est oratrice du groupe Mouvement Démocrate et démocrates apparentés à l’Assemblée nationale pour la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs. Elle nous explique les enjeux et la nécessité de cette proposition. Interview. 

En tant qu’oratrice du groupe Mouvement Démocrate et démocrates apparentés à l’Assemblée nationale pour la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, pouvez-vous nous expliquer les grands enjeux de ce texte ?

Cette proposition de loi est construite pour nos agriculteurs, afin de rééquilibrer les relations commerciales entre les différents maillons de la chaîne  alimentaire et agro-alimentaire. Notre système repose sur "une guerre des prix" des produits de la grande distribution et au final c'est le producteur qui doit baisser ses prix au profit des autres maillons. Il est important de permettre une définition d'un prix juste et éthique entre le monde agricole, l'industrie agro-alimentaire et les acteurs de la grande distribution. 

Cette proposition de loi permettra d'instiller plus de confiance et de transparence dans un système relativement opaque jusqu'à présent. Dorénavant le prix de la matière première agricole sera traçable et non négociable d'un bout à l'autre de la chaîne de négociation. Les transformateurs pourront eux aussi assurer leurs revenus en exigeant des contreparties réelles dès lors qu'ils proposent des services complémentaires qui sont indiqués dans les conditions générales de vente.

Cette loi est un enjeu de souveraineté alimentaire. 

En quoi vient-il compléter les objectifs fixés par la loi Egalim ?

En 2018, était adoptée la loi EGalim, issue des états généraux de l'alimentation. Son objectif était de permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail par un juste prix payé en rééquilibrant les relations commerciales entre les différents maillons de la chaîne alimentaire et agro-alimentaire. Parmi les mesures : le relèvement du seuil de revente à perte, la contractualisation, l'encadrement des promotions et un recours possible en cas de prix abusivement bas. Cette loi contient de réelles avancées, mais la confiance n'est pas effective car nous sommes toujours dans un rapport de force. Des blocages sont malheureusement toujours observés entre les acteurs de la chaîne, agriculteurs, transformateurs et distributeurs.

Cette nouvelle loi vient répondre aux faiblesses et permettre plus de confiance car la contractualisation sera le fruit d'un contrat écrit et pluriannuel. Ce contrat écrit sera la norme en matière de contrat de vente de produits agricoles entre le producteur et son premier acheteur. Les informations relatives au prix des matières premières agricoles inscrites dans les contrats seront exclues de la négociation commerciale. Un comité de règlement des différents commerciaux agricoles sera compétent pour prononcer des injonctions ainsi que des mesures conservatoires en cas de litiges.

 Vous êtes rapporteur d’une commission d’enquête parlementaire sur l’alimentation industrielle. N’y a-t-il pas une sonnette d’alarme à tirer ?

Le rapport de la commission d'enquête "une alimentation saine pour tous : répondre à un enjeu de santé publique " a permis de faire un constat : notre alimentation doit être notre médicament pour notre santé et cette course aux prix bas encourage des mauvaises pratiques de fabrications de nos produits. Les producteurs et les transformateurs sont contraints de faire plus à moindre coûts et au final c'est la qualité nutritionnelle de nos produits qui est réduite. L'ajout d'additifs permet de camoufler la mauvaise qualité des produits et de plus ils sont néfastes à notre santé. 

Une meilleure rémunération des agriculteurs leur permettra de produire mieux et éviter cette course à l'agrandissement des parcelles de cultures. Gagner plus sur moins de surface est un avantage certain pour eux.

Une production de qualité oblige à maîtriser les process et surtout nécessite de l'expertise et un savoir-faire unique qui se transmet dans la majorité des cas de génération en génération. Ainsi, leur qualité de vie est primordiale et bénéfique à nous tous.

D’où vient votre attachement à ce sujet ?

Je suis fille et sœur d'éleveur de viande bovine de race charolaise dans le Nièvre, j'ai vécu au cœur d'une campagne préservée par la culture intensive et avec les problématiques de la survie de l'exploitation familiale. J'ai été vice-présidente au conseil départemental de l'Yonne et en charge de la commission agriculture et environnement. Je reste constamment proche du monde agricole et je suis fière de pouvoir apporter ma contribution pour leur permettre de vivre dignement de leur métier. Ils le font passionnément et sans ce maillon, nous ne pourrions pas avoir des produits de qualité et reconnus comme tels par le monde entier. 

Comment ce projet de loi va-t-il dans le sens d’une meilleure valorisation et reconnaissance du travail des agriculteurs ?

Tout d'abord, il faut admettre que bien s'alimenter c'est l'affaire de tous et que cela a un coût . Le consommateur est un acteur à part entière de la juste rémunération des producteurs. La contractualisation écrite et pluriannuelle entre un producteur et son premier acheteur, ainsi que l'accroissement de la transparence du coût d'achat de la matière première agricole permettront de valoriser le travail des agriculteurs. Les prix de vente ne pourront plus être inférieurs au coût de production. Ainsi, les agriculteurs auront une visibilité à moyen terme et pourront engager plus facilement des investissements pour transformer et moderniser durablement leur exploitation. Le groupe démocrate a défendu une position plus ambitieuse avec l'expérimentation d'une clause dite de "tunnel de prix" qui pourrait être efficace pour certaines filières notamment celle de la viande bovine.

Les consommateurs pourront aussi agir et cela au travers de l'indication de la provenance des produits agricoles et aussi du "rémunéra-score". Ce dernier affichera le lien entre le prix réel payé au producteur et l'indicateur de coût de production.

De plus, les opérations promotionnelles  qui visent à écouler une surproduction de produits alimentaires seront soumises à des autorisations des interprofessions. Ces opérations dites de dégagement sont des opérations qui mettent en avant des prix déconnectés des coûts de production .

Comment parvenir à une entente entre les agriculteurs, les industriels et les distributeurs ?

Une entente n'est possible que si la confiance existe et cette confiance oblige les parties à plus de transparence dans leurs relations. Cependant, les relations doivent aussi pouvoir garantir une liberté de négociation commerciale. Les conditions générales de vente servent de base pour la négociation. Avec cette loi, les prix des matières premières agricoles y seront inclus et seront non-négociables. C'est un point fondamental de cette loi et une réelle garantie pour les producteurs. Reste à leur charge de fixer ces coûts de production par filière et par territoire. Une clause de révision de prix sera intégrée  dans les conventions afin d'intégrer certains aléas .

Entre les transformateurs et les distributeurs, des mesures interdisent la discrimination du tarif des fournisseurs de produits alimentaires en l'absence de contreparties réelles. Dorénavant, il faudra justifier des variations de prix dans la négociation par une prestation service effective. On évite les dérives de "marges arrières" pratiquées par la grande distribution.

L'objectif de la loi est aussi d'empêcher les acheteurs de pénaliser de façon disproportionnée les retards de livraison. Les pénalités de retard exorbitantes étaient devenues pour la grande distribution une façon de trouver des marges complémentaires. Enfin, elles seront contenues. Le groupe Mouvement Démocrate et démocrates apparentés avait fait des propositions plus encadrantes de ces pénalités sans succès.

Y aura-t-il une répercussion de hausse des prix pour les consommateurs ?

Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à dire qu'ils acceptent de payer un peu plus si le producteur est mieux rémunéré. Le rémunéra-score permettra de vérifier si tous les acteurs sont correctement rémunérés  Une bonne alimentation a un prix  et se nourrir avec une alimentation saine sûre et durable et pour tous doit être possible. La grande distribution doit se métamorphoser en retrouvant un modèle de croissance en cessant de chercher des gros profits en ponctionnant sur les transformateurs  et les producteurs. Nous croyons en un modèle d'enseignes proches de nos concitoyens, de nos producteurs locaux, au développement d'une alimentation plus durable et saine grâce à l'équilibre "volume/prix bas " que peut apporter la grande distribution. 

Stoppons cette course au prix bas, soyons de vrais consomm'acteurs tout en assurant une suffisance alimentaire aux plus démunis.

Privilégions nos producteurs, nos transformateurs et nos distributeurs français.

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