Nicolas Turquois : "3 ans de dérogations, cela permet, en parallèle, d’effectuer des expérimentations pour détourner autrement les pucerons des betteraves"
Nicolas Turquois, député de la Vienne et membre de la commission des affaires sociales, est agriculteur. C’est une histoire familiale depuis de nombreuses générations. Dans son exploitation, il est avant tout multiplicateur de semences, avec pas moins de 16 variétés de semences (céréales/ maïs / légumes / luzerne…). Le choix de réintroduire, temporairement, les néonicotinoïdes, pour les cultures de betterave, permettra de développer durant les 3 ans de dérogations des solutions alternatives. Entretien.
Mouvement Démocrate - Le projet de loi en faveur de la réintroduction des néonicotinoïdes en France est controversé. Pouvez-vous nous expliquer votre position ?
Nicolas Turquois - Un très grand progrès environnemental a été fait en France en 2016 avec l’interdiction des néonicotinoïdes. Mais, alors qu’un certain nombre de pays européens avaient consenti la possibilité de dérogations, la France a opté pour l’interdiction totale, sans anticiper certains problèmes : ainsi, la betterave, attaquée par les pucerons, se trouve dans une situation problématique. C’est le danger de confier à la représentation nationale des décisions très techniques. En responsabilité, en la limitant dans le temps - pour 3 ans - la réintroduction de néonicotinoïdes est nécessaire. On annonce, sur certains secteurs, des pertes de 50% dans les sucreries. Une culture comme le blé se transporte très bien, on peut passer d’une meunerie à la meunerie d’après. Pour la betterave, ce n’est pas le cas. La betterave est très volumineuse, les coûts de transport deviennent vite prohibitifs. Si la sucrerie locale ferme (et c’est le risque compte tenu de la chute de production), c’est toute la production qui disparaît définitivement dans le secteur concerné.
Les dérogations devraient être temporaires : À quel délai pensez-vous que l’on pourra trouver d’autres substituts à ces insecticides ?
3 ans de dérogations, cela permet, en parallèle, d’effectuer des expérimentations pour détourner autrement les pucerons des betteraves. À l’heure actuelle, où il n’existe pas de solution alternative, dans le temps très court, nous n’avons pas d’autre choix que de réintroduire des néonicotinoïdes. Il faut qu’il y ait, dans ce court-terme, un vrai suivi, au niveau du ministère, au niveau des filières. Dans un temps plus long, on peut espérer trouver d’autres techniques. Il peut s’agir de l'utilisation de betteraves tolérantes à la jaunisse transmise par les pucerons. Le semis d’autres plantes qui attirerait davantage les pucerons pour les détourner des betteraves est aussi une piste à explorer. Mais il faut être honnête : nous pouvons aussi, dans 3 ans, nous trouver dans une impasse. C’est pour cela qu’il faut agir fort et vite. Le gouvernement a mis sur la table des moyens de recherche importants.
Pensez-vous que les agriculteurs devraient s’engager, en contrepartie, à modifier leur comportement dans un sens plus responsable ? Par exemple en replantant des haies ?
On ne peut pas dire de but en banc, dans un texte, « vous devez replanter des haies », mais, au niveau européen, c’est l’année où jamais où la prise de conscience peut s’opérer. On va renégocier la politique agricole commune (PAC). En remettant un coefficient plus avantageux pour les haies, on pourrait régler ce problème. Aujourd’hui, 10% de votre surface doit être en surface d’intérêt écologique, et les haies comptent très peu dans ce calcul. Replanter des haies est réellement utile pour la préservation de la biodiversité et c’est également excellent en termes d’image : lorsque je diminue les traitements, dans ma ferme, personne ne le voit ; lorsque je replante des haies – ce que j’ai fait – mes voisins le constatent immédiatement. En revanche, une haie met 6 ou 7 ans à pousser, on retrouve la question du temps, avant de voir les effets.
Les conséquences de la réintroduction de néonicotinoïdes ne vont-elles pas être dramatiques pour les abeilles, indispensables à la biodiversité et menacées depuis plusieurs années ?
Les haies permettent aussi de nourrir les abeilles dans les mois creux : au printemps, sur mai-juin, entre deux floraisons (colza en avril et tournesol en juillet) et pour peu que le temps soit pluvieux, les abeilles meurent d’elles-mêmes, faute de trouver à manger, dans des plaines céréalières très pauvres d’un point de vue biodiversité. Les haies peuvent fournir ce relai de nourriture. Elles attirent d’autres insectes, parfois ceux qui consomment des pucerons, et contribuent ainsi à un écosystème plus équilibré, nécessitant moins de traitements. La haie, c’est une qualité paysagère mais aussi une véritable réserve de biodiversité et des atouts indéniables pour la protection des sols et l’infiltration de l'eau. En 2020, votons pour la haie bocagère dans nos campagnes !