Réforme de l'audiovisuel public
La réforme de l'audiovisuel, lancée par l’ancienne ministre de la Culture Françoise Nyssen et repoussée à plusieurs reprises, devrait être débattue à l'Assemblée nationale en février. Ce projet de loi doit modifier en profondeur la loi de 1986 relative à la liberté de communication, "rendue en grande partie obsolète par la révolution numérique et l’évolution des usages", affirme Franck Riester, ministre de la Culture. Bruno Fuchs, député du Haut-Rhin et Sophie Mette, députée de la Gironde, tous deux membres de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation à l’Assemblée nationale, expliquent les enjeux de cette réforme. Interview croisée.
En quoi la loi de 1986 relative à la liberté de communication est-elle devenue obsolète ?
Bruno Fuchs - Malgré des évolutions importantes depuis sa première rédaction, la loi "Léotard" est dépassée notamment face aux problématiques posées par le monde numérique. Nous pouvons évoquer la question des plateformes digitales, de la publicité, du piratage, de la concurrence déloyale, de la violation des droits d’auteurs. De plus, les nouvelles technologies nécessitent un cadre législatif capable de les intégrer sans une refonte complète. Tout est une question de proactivité.
Quelles sont, en 2020, les missions principales de l’audiovisuel public en France ?
Sophie Mette - Le service public de l’audiovisuel étant tout particulièrement concerné par les transformations qui affectent le paysage audiovisuel, le projet de loi vise à réaffirmer son rôle et sa singularité. L’audiovisuel public doit s’adresser à tous, notamment aux plus fragiles. Ainsi, il sera mis en avant cinq missions communes à toutes les sociétés :
- l’offre de proximité,
- l’information,
- l’ambition culturelle,
- l’offre jeunesse,
- l’action audiovisuelle extérieure.
S’ajoute la création de "France Média", une holding qui regroupera l’ensemble de l’audiovisuel public français, afin d’assurer la mise en œuvre de ces missions fondamentales, que nous attendons tous d’un service public de l’audiovisuel. Par conséquent l’audiovisuel public doit réellement placer le téléspectateur au cœur de ses préoccupations.
Il convient aussi de ne pas oublier, selon moi, l’une des missions les plus importantes de l’audiovisuel public : le soutien à la création, fer de lance de notre soft power culturel, ce qu’hélas beaucoup ignorent.
Comment l’indépendance du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) sera-t-elle renforcée par cette réforme ?
Sophie Mette - L’indépendance du CSA n’a jamais été remise en cause, mais il était nécessaire d’offrir un régulateur fort, avec de réels pouvoirs et prérogatives, face aux nouveaux enjeux de la communication audiovisuelle et aux mutations toujours plus rapides de ce secteur. C’est l’objectif de la fusion du CSA et de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) au sein d’un organe unique : ARCOM.
Pourquoi regrouper les entreprises de l'audiovisuel public, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde (qui regroupe RFI et France 24) et l'Ina (Institut national de l'audiovisuel) au sein d'une holding commune baptisée France Médias ?
Bruno Fuchs - Outre la logique de mutualisation des services et des offres, l’idée et de créer des synergies favorables à une meilleure cohérence éditoriale. Le "Tri-média" (Internet, télévision, radio) représente un réel enjeu sur lequel seul une société forte pourra se mobiliser pour adresser tous les publics. Par ailleurs, l’apport de France Médias Monde donne à la holding les moyens pour penser aussi au rayonnement de la France, de sa langue, de sa culture, de son influence, dans le monde.
Sophie Mette - Comme je l’ai dit précédemment, ce regroupement va permettre d’assurer au mieux les missions qui sont dévolues au service public de l’audiovisuel. Car il convient de préciser que nous sommes face à un réel service public qui se doit d’avoir une ambition et une direction communes.
Pour autant, il ne faut pas oublier que France Médias reste une entreprise, certes de service public, mais une entreprise quand même, qui doit savoir et pouvoir s’adapter dans un secteur très concurrentiel et en perpétuelle mutation. Et pour répondre aux exigences d’un tel secteur, il convenait de regrouper l’ensemble des entreprises du service public de l’audiovisuel autour d’une entité unique.
De nombreux détails devront être éclaircis, dont les discussions parlementaires devraient apporter les réponses. Néanmoins, je rejette toute idée d’un nouvel ORTF.
Comment promouvoir et soutenir les œuvres européennes, l’industrie française et les films d'art et d'essai, notamment face aux plateformes numériques ?
Bruno Fuchs - L’arrivée de nouveaux acteurs dans la production et la distribution a bouleversé l’ensemble du secteur. La création d’un régime conventionnel des services de médias audiovisuels à la demande, qu’ils soient français ou étrangers, est actée dans ce projet de loi. Le respect des droits des auteurs dans les contrats de production cinématographique et audiovisuelle est également un volet important. Face à une concurrence internationale qui ne va que se renforcer, nous avons besoin d’acteurs solidaires, forts et puissants pour bâtir une industrie nationale respectée et influente.
Sophie Mette - Il convient de faire converger la fiscalité applicable aux acteurs historiques de l’audiovisuel et aux nouveaux services numériques. Il est nécessaire que tous les acteurs participent au financement de la création, sans que cela ne provoque de distorsion de concurrence au risque que ce soit la création elle-même qui en pâtisse. Le financement de la création est "le nerf de la guerre". Il est temps, aujourd’hui, d’aller au bout de la logique de la réponse graduée et de doter l’ARCOM de nouvelles compétences permettant d’endiguer le fléau qu’est le piratage pour la création. Enfin, il conviendrait, peut-être, d’avoir une chronologie des médias adaptable selon le type d’œuvre, son diffuseur et son succès. Cela mérite réflexion.
La fin de l’Hadopi marque-t-elle son échec ? Quelles seront les missions de l’Arcom, l’organisme né de la fusion du CSA et de l’Hadopi ?
Bruno Fuchs - Il s’agissait, à l’époque d’une première étape dans la lutte contre les utilisations abusives d’internet et des NTIC. Tout l’intérêt de la création de l'Arcom est dans le développement d’une expertise réelle avec l’aide de nouveaux moyens, adaptés aux nouvelles formes de piratage informatique.
Sophie Mette - En 2009, la loi instituait Hadopi, organisme public chargé de lutter contre le piratage illégal avec plusieurs missions principales : l’encouragement au développement de l’offre légale, la protection des œuvres sur Internet par ce qu’on a appelé la "réponse graduée" et enfin une disposition qui permettait également à un juge d’ordonner le blocage de sites dédiés au téléchargement illégal. Cependant les dispositifs existants sont actuellement incomplets pour lutter efficacement aux nouvelles pratiques de piratage, dont le streaming. Au moment même où Hadopi se mettait en place, la consommation illégale de films et de vidéos se déplaçait majoritairement vers ces services, eux aussi situés hors du périmètre des pouvoirs de sanction de la Haute Autorité. Il était donc nécessaire de donner de nouveaux pouvoirs, adaptables en permanence, à un régulateur fort et à l’autorité accrue. C’est l’objectif de la loi.