Jean-Louis Bourlanges : "En Pologne, nous sommes typiquement face à une tentative extrêmement puissante de remise en cause des libertés fondamentales."
Jean-Louis Bourlanges, député des Hauts-de-Seine et président de la commission des Affaires étrangères, était ce mercredi 20 octobre, l'invité du matin de RFI avec Frédéric Rivière. Il est revenu sur la crise politique en Pologne avec l'Union européenne et également sur l'actualité nationale avec la flambée des prix du carburant.
Frédéric Rivière : Bonjour Jean-Louis Bourlanges.
Jean-Louis Bourlanges : Bonjour Frédéric Rivière.
Frédéric Rivière : Le premier ministre polonais n'en a pas démordu hier à la tribune du Parlement Européen. Il a maintenu que le droit polonais devait primer sur le droit européen comme l'a récemment affirmé le tribunal constitutionnel polonais. Il a également dénoncé le chantage des institutions européennes contre son pays. Quelle doit être selon vous la réponse de l'Union européenne ?
Jean-Louis Bourlanges : D'abord, le Premier ministre polonais n'a pas démordu... Personne n'attendait qu'il démorde. On savait bien qu'il allait persévérer dans sa voie. Je crois qu'il faut d'abord démontrer l'incongruité du système. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ce n'est pas la question de savoir si le droit communautaire est supérieur ou inférieur au droit national. En réalité, si le droit communautaire n'est pas supérieur au droit national, il n'y a plus de droit communautaire. Qu'est-ce que c'est, le droit communautaire ? C'est le droit du contrat, c'est-à-dire que c'est 27 pays qui décident ensemble de faire quelque chose si, après que la décision ait été prise, que la directive est lancée, que chacun revient chez soi et se dit "moi il y a tel et tel aspect qui ne m'intéresse pas". C'est comme si vous passiez, signiez un bail pour avoir un appartement, que vous reveniez chez vous et que vous disiez "Eh bien écoutez ce bail, il est très bien. Je vais simplement diminuer le loyer par deux." Il est évident qu'il n'y aurait plus de bail.
Frédéric Rivière : Mais a contrario, pour reprendre l'image de l'immobilier, est-ce qu'on n'est pas passé dans une situation où le syndicat de copropriété ne gère plus seulement les parties communes mais vient aussi dans les appartements pour dire "Je veux que le papier peint soit de telle couleur ou la baignoire de telle taille".
Jean-Louis Bourlanges : On peut discuter. La particularité, c'est que l'Europe c'est du droit dérivé comme on dit, c'est-à-dire que ce n'est pas simplement un traité qui a mis au point un mécanisme procédural très démocratique d'ailleurs avec les États au sein du Conseil, avec le Parlement, avec la Cour de justice pour produire des règles communes. Alors, ces règles communes, il faut qu'il y ait un juge et ce juge, c'est la Cour de justice. Je vous rappelle que la Cour de justice est composée de juges désignés par les États membres. Ce ne sont pas des juges qui surgissent de nulle part. Ce sont des juges sur lesquels les États membres se sont mis d'accord. Il y a deux problèmes. Le premier, c'est que la Constitution d'un pays, c'est quelque chose. Même si vous dites "le droit communautaire, c'est supérieur", le bon sens résiste en disant "non, la Constitution c'est le droit fondamental d'un État". Si bien qu'on fait toujours attention à éviter de mettre en contradiction le traité. Chaque fois qu'on a fait un nouveau traité donnant une compétence nouvelle à l'Union, on a consulté le Conseil constitutionnel pour savoir en France si ça collait. Et le Conseil constitutionnel nous a dit la plupart du temps de changer tel aspect de la Constitution. C'est ce qu'on a fait...
Frédéric Rivière : Parce que le Premier ministre polonais a aussi évoqué l'élargissement des compétences qui conduirait son pays à devoir se soumettre à un droit et à des engagements qu'il n'avait pas pris. De quoi parle-t-il quand il dit ça ?
Jean-Louis Bourlanges : C'est là où il est vraiment tout à fait en faute. Ce n'est pas qu'il s'agit simplement, comme le disaient les Britanniques qui contestent telle ou telle décision... Il s'agit du cœur de la machine, c'est-à-dire que l'adhésion à l'Union européenne, le traité de l'Union européenne, c'est un accord sur les principes démocratiques, sur le respect de l'État de droit, sur les libertés fondamentales, sur le pluralisme, sur la démocratie représentative. Or là, nous sommes typiquement en Pologne face à une tentative extrêmement puissante de remise en cause des libertés fondamentales. Et notamment la Cour constitutionnelle. Ce n'est pas une Cour constitutionnelle. Ce sont des juges aux ordres du gouvernement de Varsovie. Il y a eu des tas de mesures de 1000 manières de prendre le contrôle politique par le gouvernement de ses juges. Donc il y a une remise en cause de l'État de droit en Pologne ! Et ça nous concerne. Voyez-vous, l'Union européenne, ça fonctionne avec des États. Si vous ne respectez pas l'État de droit en Pologne, vous ne respectez pas la démocratie dans l'Union européenne parce que vous avez des Polonais au Parlement Européen, parce que vous avez des Polonais au Conseil des ministres, parce que vous avez des Polonais comme juges à la Cour de justice ou à la Cour des comptes. En réalité, derrière cette affaire, c'est le fonctionnement même de l'Union telle que nous l'avons construite démocratiquement contrairement à ce qui est dit, très respectueuse du droit, qui est en cause. Donc il y a péril en la demeure. Ce n'est pas un petit abus de pouvoir qui est remis en cause, c'est le cœur même de l'organisation démocratique de l'Union européenne. On ne peut pas accepter qu'un certain nombre d'États fonctionnent sur un mode qu'on appelle maintenant une démocrature.
Frédéric Rivière : Alors rapidement, parce que j'aimerais qu'on aborde un ou deux autres sujets. Est-ce que la Grande Bretagne a ouvert une brèche ? Est-ce qu'elle a dédramatisé finalement la sortie de l'Union européenne ?
Jean-Louis Bourlanges : Non, en tout cas les Polonais n'ont pas prévu de sortir de l'Union européenne...
Frédéric Rivière : Et l'Union européenne n'envisage pas d'exclure la Pologne.
Jean-Louis Bourlanges : En tout cas, la situation n'est pas tolérable. On ne peut pas être membre du club et ne pas respecter les principaux fondamentaux du club. Madame Von der Leyen a évoqué plusieurs possibilités. La plus simple et la plus expédiente aujourd'hui, c'est en tout cas de bloquer les fonds. Ce que demande en tout cas le Premier ministre néerlandais, c'est de bloquer les fonds du Plan de relance européen Next Generation. Nous avons les instruments juridiques pour ça en disant "si l'État de droit n'est pas appliqué en Pologne, si le bon fonctionnement de l'argent public européen n'est pas assuré, on bloque ça." Ce serait une absurdité et les Polonais en sont conscients. Et moi, je connais bien la Pologne. J'ai participé à l'adhésion, à l'introduction de la Pologne quand j'étais parlementaire européen. Je peux vous dire que le mouvement pro-européen en Pologne est beaucoup plus fort que dans d'autres pays. Sans doute, plus fort qu'en France. Mais on a un gouvernement obscurantiste qui a une attitude très profondément négative vis-à-vis des règles démocratiques.
Frédéric Rivière : En un mot, il nous reste une minute. Les prix de l'énergie sont montés dans une proportion un peu folle ces derniers mois. Le gouvernement doit annoncer des mesures avant la fin de la semaine pour faire face notamment à la flambée des prix du carburant. Est-ce qu'il n'y a pas dans cette situation les ferments d'une nouvelle crise sociale comme celle des Gilets jaunes ?
Jean-Louis Bourlanges : Je ne sais pas si c'est une crise comme celle des Gilets jaunes mais d'une façon générale, tout ce qu'on fait sur le plan de l'adaptation climatique, sur le plan de l'adaptation aux pénuries est quelque chose d'extrêmement révolutionnaire. Je pense que nous ne pourrons pas aborder les transitions que nous devons mener au cours des années à venir, nous ne pourrons pas l'aborder sans un solide bouclier social. Maintenant, il s'agit de discuter, de discuter de la consistance de ce bouclier. Mais il va y avoir des embardées dans tous les domaines qui vont effectivement atteindre les gens dans leur pouvoir d'achat et plutôt ceux qui n'ont pas beaucoup d'argent. Donc là, c'est une vraie préoccupation sociale, qui va être centrale au cours des dix prochaines années.
Frédéric Rivière : Merci. Jean-Louis Bourlanges.