Carnet d'Ukraine : La guerre, c'est quoi ?
Nataliia Pylypenko, réfugiée ukrainienne, a trouvé l'asile à Paris avec ses deux petits enfants grâce à une très généreuse famille française. Depuis leur arrivée en France, le 15 mars 2022, Nataliia, professeur de langues étrangères, écrit tous les jours sur les évènements tragiques qui se déroulent dans son pays où son mari est resté.
Chacun de nous voit dans ce mot des notions différentes selon son vécu, sa place, sa présence ou non dans une guerre. Bien sûr je ne vais pas vous ouvrir les yeux en disant que la guerre c'est horrible, c'est la mort, les cris, la rivière du sang, les orphelins, les handicapés, les invalides physiques et psychologiques, mais ce sont des destins cassés.
Les destins cassés pas seulement parmi les militaires mais aussi parmi les civils qui restent en état de peur. De peur pour leurs enfants, leurs proches qui sont sur le front.
De peur provoquée par un système d'alerte sur son téléphone portable, les sirènes suivies de la compréhension qu'on a moins de 10 minutes pour fuir avec la peur, la panique qui te bloque et tu restes stupéfait, sans espoir, avec le froid profond à l’intérieur, avec les bruits énormes des bombardements, des explosions.
La peur également de ceux qui sont forcément devenus réfugiés à l'étranger dont la vie est complètement bouleversée. Quand son âme est déchirée, on ne peut pas faire des projets et construire une nouvelle vit, on vit au jour le jour !
… Mais il me manque de mots pour décrire toute cette horreur, que nous avons sur le front, dans chaque ville ou village occupé, et même là où il nous semble que la vie continue et que les Forces Anti-Aériennes nous protègent. Oui ces forces nous protègent et les Ukrainiens les prient chaque matin et chaque nuit quand il y a des attaques nocturnes, mais des débris tombent, provoquant des tonnes de ruines, de blessés et de douleur.
C'est ça la guerre. D'une coté l'impuissance et l'acceptation de l'inévitable, et de l'autre la lutte, la résistance, le travail de gens simples dans différents domaines pour aider les garçons sur le premier front - la maintenance, l`intelligence, l`esprit de la nation. Tout cela crée l'unité du peuple avec le même objectif : le futur de nos enfants sans russes.
Tout ça - ce sont nos gens, nos Ukrainiens ordinaires.
Vous savez, voir ce que les Russes ont fait et font en photos ou en vidéo, c'est tout à fait différent si on voit tout ça en réalité, aux endroits des bombardements, aux endroits où il y a des tirs ou des missiles qui laissent des énormes trous dans le sol et dans le cœur pour toujours.
J'avais seulement vu les photos des ruines de ma maison, les restes des murs brulés, les rues bombardées à Boutcha, Irpin - c'est terrible de voir sur le photos, mais quand tu vois ça en réalité - c'est encore pire, je peux pas vous expliquer, tu as seulement les sentiments qui te couvrent – tu te sens vide à l`intérieur, les mémoires du temps passé (la naissance de mes enfants, leurs premiers pas et premiers mots dans notre maison qui n’existe plus).
Après ça j'avais besoin d'être seule : j'ai pris la voiture de mon beau-père et j'ai fait un petit tour de notre village Blystavytsa où on a 24 maisons bombardées, de Gostomel, de Boucha et de Irpin` où sont présentes toutes les voitures tirées par les Russes pendant la première semaine de la guerre quand les gens civils avec les enfants essayaient de fuir la guerre et ils ont été tués cruellement et maintenant c'est comme un point de mémoire tragique des voitures brulées tirées mais décorées avec les peintures des fleurs).
J’ai vu beaucoup de ruines, beaucoup des maisons privées endommagées, beaucoup de places vides comme la nôtre, c’est affreux - ce n’est pas possible à décrire avec les mots, je sentais le froid intérieur.
C'est ça la guerre. Un jour tu as tout et un autre jour tu n'as plus rien, et tu ne peux que remercier le ciel que tes enfants, tes parents et toi sont vivants ! Bien sûr on rêve de tout reconstruire, ta propre vie mais tout en sachant que même si tu reconstruis, la vie ne sera pas la même qu`elle était avant la guerre – c'est douloureux.