Démocrate Hebdo : Europe, avec Sabine Thillaye et Frédéric Petit
A l'approche du 9 mai, mardi 3 mai, notre Démocrate Hebdo était consacré à l'Europe : les députés Sabine Thillaye (députée d'Indre et Loire, présidente de la commission des affaires européennes) et Frédéric Petit (député des Français établis hors de France, commission des affaires étrangères, et secrétaire général adjoint du PDE) ont répondu aux questions de Jean-Baptiste Houriez, des Jeunes Démocrates.
La soirée a débuté sous de bons auspices : c'est ce mardi 3 mai que le Parlement européen a adopté la loi électorale et les listes transnationales, comme le demandait la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Au Mouvement Démocrate, nous le savons, ce combat était mené de longue date, en particulier par Sandro Gozi (qui a été rapporteur du projet au Parlement) et Marielle de Sarnez. Pour Sabine Thillaye comme pour Frédéric Petit, c'est là une avancée essentielle. Sabine Thillaye aime à dire qu'elle est un produit d'origine contrôlée français et allemand. Les filles de Frédéric Petit ont la double nationalité polonaise et française.
Sur la guerre en Ukraine, tragique, presque inconcevable au regard de l'idéal de paix de l'Europe, les deux députés ont livré leur analyse. Si l'on a spontanément envie de dire oui à l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, il y a des règles à respecter et un acquis communautaire qu'il faut intégrer. Récemment, Enrico Letta a proposé l'idée d'une confédération. En tous les cas, il est nécessaire de proposer quelque chose.
Frédéric Petit a eu le sentiment troublant de réinventer le travail d'un député en tant de guerre. Sur le plan militaire, la situation doit être suivie heure par heure. Les forces russes ont été contrées comme elles ne l'attendaient pas et, depuis 15 jours, on est en train de vivre une bascule. Les premiers militaires russes étaient des appelés. La situation évolue très vite. A Kherson, les habitants ont un mois seulement pour passer au rouble. Depuis le retrait de Kiev, la concentration stratégique s'observe sur Odessa et le Donbass. Les Russes essaient naturellement de couper l'accès à la mer de l'Ukraine. Si Odessa reste assez calme pour l'instant, ce n'est pas le cas à Kherson. Quant à la Transnitrie, elle constitue un vrai problème. Frédéric Petit rappelle que, sur ces conflits de sentiments d'appartenance, l'enjeu est multiséculaire. L'affrontement de ces deux modèles se voyait très clairement chez l'un des ancêtres de l'Union européenne, la République des Deux nations.
Les premières vagues de réfugiés ont été impressionnantes, surtout vers la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie. Les flux étaient essentiellement féminins, pas moins d'1M5 enfants, des mères, des grand-mères. Depuis 3 semaines, les flux s'inversent. Sur les récoltes, on est moins pessimiste, 80% sont espérés.
Sabine Thillaye a toujours trouvé que la dislocation de l'URSS s'était effectuée trop facilement et que l'on courait le risque d'un retour de bâton. Enfant, elle voyait les miradors, les mitraillettes et était très consciente des menaces de guerre. Aujourd'hui, Vladimir Poutine s'attaque à ce que nous sommes, à notre mode de vie, à notre liberté. Or, le droit doit rester prépondérant. La situation est extrêmement périlleuse, et le couple franco-allemand doit montrer de la fermeté.
En Allemagne, depuis un an déjà, Frédéric Petit sentait comme une lame de fond traverser la jeunesse, qui ne pouvait plus être indifférente à ce qui se passait dans le monde. Sabine Thillaye reconnaît que les logiciels de pensée évoluent dans la société allemande. Il y a encore un an, on ne pouvait pas parler défense et sécurité avec les Grünen, plus pragmatiques aujourd'hui.
Le terme "boussole stratégique", nouveau, est devenu d'un emploi évident. Pour autant, le rythme européen n'est pas adapté à la réponse que l'Europe doit porter à la guerre. Pour Frédéric Petit, l'Union européenne doit annoncer, dès à présent, que c'est elle qui reconstruira. Sabine Thillaye participait récemment à l'Association des communes et régions d'Europe, où cette question de la reconstruction était également posée.
Dans l'industrie de défense, nous avons besoin de beaucoup plus d'interconnexions. Pour l'industrie de la défense, là où un Allemand entend surtout "industrie, intérêts économiques", un Français pense plutôt "industrie, défense de nos intérêts". D'où la nécessité du dialogue pour construire ensemble.
On n'y pense pas suffisamment : La guerre a un impact écologique énorme. Les conséquences de la guerre sur nos émissions de gaz à effets de serre sont importantes. La conscience que nos actes ont des conséquences pour les générations à venir, cela représente un véritable combat culturel, tous les pays n'ayant pas encore le même degré de conscience écologique.
Le 9 mai, fête de l'Europe, est également la fête nationale en Russie. Vladimir Poutine ne se privera pas d'une démonstration de force symbolique. A nous de montrer la puissance de nos valeurs et de notre sentiment européen. Comment donner envie d'Europe, à l'heure où les populismes jouent de l'euroscepticisme ? Sabine Thillaye ne voit pas pourquoi nous ne serions pas fiers de ce que nous avons déjà fait ? Frédéric Petit trouve que nous devrions nous atteler à des réalisations concrètes, comme au temps de Robert Schuman et Jean Monnet. Le réseau électrique ne pourrait-il pas être la CECA du XXIe siècle ? Si la France préside le Conseil de l'Union européenne, son rôle consiste à donner les grandes orientations, à pousser certains thèmes, comme la sécurité numérique, par exemple. Mais, comme le rappelait Jean-Louis Bourlanges, une présidence du Conseil de l'UE accouche souvent de bébés que nous n'avons pas faits, conçus par d'autres avant nous.
Nous avons avancé sur la réciprocité pour les marchés publics, dans les accords commerciaux dans les clauses miroirs, sur la neutralité carbone. Sur le salaire minimum européen, la réflexion progresse.
L'appartenance, c'est ce que l'on ressent. Si Sabine Thillaye est fédéraliste, le mot est peu évocateur aujourd'hui. Nous devrions plutôt parler de communautés de destin. Nous avons besoin d'interculturalité, d'échanges, à tous les niveaux. Dans la construction européenne, le parlementaire national est trop souvent le chaînon manquant, alors que tous les niveaux s'imbriquent. On devrait davantage lier l'échelon local, l'échelon national l'échelon européen. In fine, toute politique est locale, parce que c'est là qu'elle doit arriver. L'Union européenne se fait du bas vers le haut, abonde Frédéric Petit.
Les propositions issues de la Conférence sur l'avenir de l'Europe seront présentées officiellement lundi 9 mai à Strasbourg. Avoir des langues, des intérêts, des goûts différents, et pouvoir se mettre d'accord sur des intérêts supérieurs, transcendants, c'est ce que l'Union européenne apporte au monde. Et c'est une aventure d'une ampleur inédite.