L’Europe et la lutte contre la précarité des travailleurs européens
L'adoption du rapport de l'eurodéputée et vice-présidente du groupe Renew Europe, Sylvie Brunet, « sur la réduction des inégalités, avec une attention particulière à la pauvreté des travailleurs » par le Parlement européen le 10 février dernier, ainsi que l’examen en cours de la proposition de directive sur des salaires minimaux adéquats sont une véritable avancée pour tous les travailleurs européens. Interview.
La crise actuelle renforce la précarité des travailleurs européens :
Sylvie Brunet : Déjà avant la crise sanitaire et sociale que nous vivons depuis plus d’un an, la part des travailleurs européens exposés au risque de pauvreté était de 9,4% en 2018, un niveau supérieur de près d’un point à celui d’il y a dix ans. C’est une réalité inacceptable qui risque encore de s’amplifier du fait de la crise de la COVID-19. En effet, les études récentes d’EUROSTAT montrent malheureusement que l’Union européenne comptait près de 2 millions de chômeurs de plus entre février et novembre 2020 (respectivement 14 et 16 millions).
Comment faire en sorte que chaque pays européen, avec ses spécificités, dispose d'un salaire minimum décent ?
La proposition de directive qui nous a été adressée par la Commission et sur laquelle nous commençons à travailler au Parlement européen, prévoit la mise en place d’un cadre rendant obligatoire un salaire minimum d’un niveau décent dans tous les États membres de l’UE. C’est ce texte législatif qui, une fois adopté, imposera à chaque État membre de disposer d’un salaire minimum décent.
Le travail parlementaire va bientôt commencer sur la base de ce texte pour fixer par exemple des critères stables et clairs pour déterminer les salaires minimaux. Cela signifie cependant que la directive n’imposera pas un montant précis pour ce salaire minimum dans tous les pays mais des critères qu’il faudra respecter a minima (par exemple un critère de pourcentage du salaire médian brut). Il y a également dans ce texte des propositions visant à renforcer les négociations collectives, surtout là où elles sont actuellement insuffisantes. C’est un autre levier pour encourager la mise en place de salaires minimaux décents.
Comment assurer une meilleure convergence sociale vers le haut, en temps de crise ?
Il est impératif de continuer à travailler sur les textes de fond dont la mise en œuvre concrète du Socle européen des droits sociaux adopté en 2017, pour tendre à une meilleure convergence sociale vers le haut malgré cette période de crise sanitaire, économique et sociale sans précédent.
À cet égard, nous examinerons avec beaucoup d’attention le Plan d’action que présentera aujourd’hui la Commission européenne.
Dans cet objectif de concrétisation du Socle, nous travaillons en Commission Emploi sur la mise en place de ce cadre européen pour un salaire minimum décent dans chaque État membre de l’Union, mais aussi sur la révision et l’amélioration des textes de coordination des régimes de Sécurité sociale pour les travailleurs mobiles en Europe, sur la mise en place d’une Garantie Enfance, ou encore sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques.
En outre, le sommet social qui se tiendra le 7 mai prochain à Porto devra envoyer un signal politique clair en faveur du renforcement de la dimension sociale de notre Union.
Des mesures spécifiques sont-elles envisagées pour les travailleurs atypiques ?
Plusieurs textes européens ont commencé à mettre en place des mesures de protection pour les travailleurs dits atypiques. Ainsi tant le socle européen des droits sociaux voté en 2017 que la directive relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’UE ou la recommandation du Conseil concernant l’accès des travailleurs salariés et non-salariés à la protection sociale prévoient des droits et une protection sociale adéquats pour tous les types de travailleurs dont les travailleurs atypiques, non-salariés, les travailleurs des plateformes numériques ou domestiques…
Un rapport d’initiative que je porte sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques est également en cours d’examen et devrait préparer un futur texte législatif européen en fin d’année.
Tous ces travailleurs doivent jouir de meilleures conditions de travail et d’un niveau suffisant de protection en cas de maladie, d’accident du travail ou d’accès à la formation.
Quelles mesures pour les salaires des femmes ?
L’écart moyen de salaire entre les hommes et les femmes est de 16 % dans l’ensemble de l’UE. L’Institut européen pour l’égalité des genres a montré dans un rapport en 2019 que cet écart a à peine diminué au cours de la dernière décennie. Aussi, une directive est-elle prévue concernant la transparence salariale dans les pays européens, elle va sortir incessamment.
Cette future transparence des rémunérations serait contraignante avec notamment une obligation pour les entreprises d’au moins 250 salariés de mettre à la disposition du public des informations sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.
L’instauration d’un cadre européen pour un salaire minimum dans tous les pays de l’UE permettra également de revaloriser les salaires des femmes souvent concentrées dans des métiers mal rémunérés bien qu’essentiels comme la crise de la Covid-19 a pu le mettre en exergue.
Comment éviter que le dumping social s'accentue ?
Plus nous bâtirons une Europe sociale forte tendant vers une meilleure convergence des normes sociales et mieux nous lutterons contre un dumping social inévitable tant qu’il y a autant de différences entre les États membres de l’UE.
Il nous faut trouver un socle commun de droits sociaux permettant des conditions de travail décentes en oubliant que les politiques en la matière relèvent encore principalement des États membres.
La mobilité des travailleurs dans l’UE est déterminante pour le développement du marché unique européen. Et cette mobilité ne peut exister qu’avec une meilleure convergence sociale. Nous nous y employons au Parlement européen.