Protéger les travailleurs des plateformes numériques  

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(© Anne-Claude Barbier)

Le Parlement européen a récemment adopté le rapport sur les travailleurs des plateformes numériques de la députée européenne Sylvie Brunet. Interview pour comprendre les enjeux clés de ce rapport et la nécessité d'une vraie Europe sociale. 

On parle beaucoup des plateformes numériques concernant les conditions de travail et les droits des travailleurs. Quels sont concrètement les problèmes qu’ils rencontrent ?

Les travailleurs des plateformes rencontrent aujourd’hui des problèmes multiples. Pour les travailleurs sur site il s’agit notamment des dangers accrus d’accidents de la route ou encore des blessures causées par des machines ou des produits chimiques. Pour les travailleurs en ligne, il peut s’agir du manque d’ergonomie des postes de travail. Mais ces problèmes ne se limitent pas à la santé physique et peuvent également déclencher des risques psychosociaux du fait du caractère imprévisible des horaires et du caractère compétitif de l’environnement de travail, comme par exemple le système de notation et les primes incitatives, et d’une forme d’isolement. C’est pour cela que l’application des mesures de santé et sécurité au travail aux travailleurs des plateformes, et notamment une assurance contre les accidents, est une priorité. Il s’agit d’une des recommandations de mon rapport.

Un autre problème concerne les « faux travailleurs indépendants » classés officiellement dans la catégorie des indépendants, alors qu’ils ne possèdent pas le niveau d’autonomie professionnelle propre aux indépendants. Ces travailleurs des plateformes ne bénéficient pas d’une protection sociale équivalente à celle que confère une relation de travail dans leur État membre. C’est pour cela que nous devons intensifier la lutte contre ce phénomène afin d’assurer la classification exacte des travailleurs selon les conditions d’exécution réelles de leur travail. Le Parlement européen propose à cet égard un renversement de la charge de la preuve afin que lorsqu’un travailleur de plateforme conteste son statut professionnel, ce soit dans les faits la plateforme qui doive prouver qu’il n’est pas un salarié.

Comment améliorer à long terme leurs conditions de travail ?

Ce travail de plateforme peut être une chance pour les travailleurs, à condition qu’il soit correctement encadré. C’est le sens même de mon rapport, garantir la durabilité des nouvelles formes de travail liées aux développements numériques.

Une des propositions phares de mon rapport est de rendre les algorithmes plus transparents, éthiques, et non discriminatoires. Le sujet des travailleurs des plateformes ouvre le champ de la réflexion sur l’avenir du travail et sur la place du numérique et de l’intelligence artificielle dans le monde du travail. Je préconise une obligation pour les plateformes numériques de travail de communiquer les informations principales sur le fonctionnement de l’algorithme, c’est-à-dire les paramètres qui influent sur la répartition des tâches, les notations ou encore la tarification.

L’accès des travailleurs indépendants à la négociation collective est aussi un levier incontournable pour l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes. Alors qu’ils ne peuvent pas aujourd’hui être représentés et négocier collectivement à cause du droit de la concurrence européen, celui-ci doit être clarifié afin de ne pas entraver les accords allant dans l’intérêt des droits et de la protection des travailleurs.

En quoi la transition numérique est-elle nécessaire pour le bien-être des travailleurs ?

L’outil numérique, s’il reste centré sur l’humain et éthique, est un véritable atout. Il peut en effet améliorer la productivité des travailleurs, favoriser la communication et le travail collaboratif ainsi que le caractère inclusif des marchés du travail, ou encore permettre la formation continue via le e-learning.

Alors qu’une des conséquences de la crise sanitaire a été le recours massif au télétravail, un encadrement doit être apporté pour limiter ses effets adverses et garantir la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle, par exemple par la mise en œuvre d’un véritable droit à la déconnexion au niveau européen.

Dans le cadre de la transition numérique, nous devons également faire en sorte de former et d’attirer des travailleurs hautement qualifiés en Europe. Leurs compétences spécialisées dans la création d’algorithmes ou encore de codages sont essentielles pour assurer l’autonomie stratégique de l’Union européenne et garantir son avantage compétitif sur la scène internationale.

Qu’est-ce que la “méconnaissance du digital” et comment lutter contre ce fléau ?

40% des citoyens européens ne disposent pas de compétences numériques de base. Il y a un travail et un investissement considérable à réaliser pour renverser cette tendance. Il faut pour cela améliorer l’éducation et la formation tout au long de la vie. Je propose d’ailleurs dans mon rapport que les travailleurs des plateformes, notamment les moins qualifiés, puissent bénéficier de formations pour améliorer leur employabilité en plus de la formation de base à recevoir sur le fonctionnement de l’application.

Je promeus également l’idée d’un véritable passeport numérique européen afin d’avoir un outil commun permettant d'attester de compétences numériques indispensables pour vivre et travailler dans le monde actuel, comme l’utilisation des outils informatiques, des réseaux sociaux, ou encore l’esprit critique face aux fakes news.

Ce secteur est-il facilement encadrable par les autorités ?

Nous voyons au sein de l’Union européenne que les approches sont multiples entre les États membres. Certains choisissent le statut de travailleurs indépendants, d’autres de salariés pour certains secteurs et encore d’autres un troisième statut. Cependant, certains pays montrent qu’il est possible d’améliorer concrètement les droits de ces travailleurs. C’est notamment ce qu’a fait la France avec la loi d’orientation des mobilités qui oblige les plateformes de livraison et de transport à communiquer aux travailleurs la distance couverte et le prix minimal garanti pour une tâche ou encore à respecter le choix des plages horaires d’activité et les périodes d’inactivité.

C’est le parti pris de mon action : rendre concrète l’Europe sociale par la clarification et la création de droits pour les travailleurs des plateformes. Pour toute régulation de ce secteur, il est nécessaire de garder à l’esprit l’équilibre à trouver entre d’un côté la flexibilité et les opportunités offertes par ces nouvelles formes de travail, et le respect des normes sociales du modèle européen.

Une nouvelle réforme est également en cours en France sur la représentation collective, je crois que là se trouve la voie pour accompagner et compléter l’approche législative : celle du dialogue social.

C’est un progrès au sein de l’Union Européenne mais n’y a-t-il pas un risque de délocalisation de ces plateformes en dehors de l'Europe ?

L’adoption en Espagne de la loi « Riders » requalifie automatiquement tous les livreurs des plateformes numériques de travail en salariés. Suite à l’entrée en vigueur de cette loi en août dernier, la plateforme Deliveroo a annoncé son intention de se retirer du marché espagnol, ce qui pourrait entrainer la perte de travail pour près de 4000 livreurs.

Pour éviter ce risque, il faut des règles à l’échelle de l’Union européenne afin que le cadre soit clair pour les travailleurs des plateformes, tout comme pour les plateformes numériques de travail. Avec cette clarté juridique et une règlementation reflétant notre modèle social européen, je suis convaincue qu’une forme durable du travail de plateforme continuera à se développer. Il y a d’ailleurs déjà au sein de l’Union européenne des plateformes numériques de travail vertueuses.

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