Migrations : conférence-débat avec Catherine Wihtol de Wenden, Jean-Noël Barrot et Elodie Jacquier-Laforge
Le Grand Débat du Mouvement démocrate du 6 novembre 2019, animé par la secrétaire générale adjointe Alice Le Moal, portait sur les migrations. Quelques heures à peine après le discours du Premier ministre et l’adoption d’un plan en 20 points. La politologue et directrice de recherche au CNRS Catherine Wihtol de Wenden, spécialiste des migrations, Jean-Noël Barrot, secrétaire général du mouvement démocrate, député des Yvelines et rapporteur spécial de l’asile, de l’immigration et de l’intégration et Elodie Jacquier-Laforge, députée de l’Isère et rapporteur pour avis de la Commission des lois, ont débattu des questions de migrations, d’hospitalité, de gestion de l’accueil.
Hannah Arendt écrivait qu’il fallait bien faire attention en désignant telle catégorie : ainsi, « réfugié », par exemple, ne désignait pas, pour elle, une identité, mais un moment de la vie.
La question des migrations est sensible, car elle en appelle directement à nos émotions et au « sentiment du semblable » qui est le sentiment démocratique premier.
Catherine Wihtol de Wenden a souligné un paradoxe de nos sociétés modernes : depuis 30 ans, le droit de sortie de chez soi est généralisé. Mais, si l’on peut désormais sortir facilement de presque partout, entrer demeure bien plus compliqué. Les droits d’entrée se durcissent. Pourtant, on a pris conscience qu’on n’arrêtera pas les migrations. C’est un phénomène structurel du monde, un mouvement de fond qui correspond aux crises et aux conflits. Et plus on interdit, plus cela favorise le développement des mafias du passage. Il y a souvent une tension interne à nos démocraties libérales, prises entre les principes qu’elles valorisent et les pratiques politiques qu’elles adoptent.
Nous vivons dans un climat où le rejet de l’immigration se développe et renforce la montée de l’extrême-droite. Il faut lutter, y compris comme chercheur, affirme avec force Catherine Wihtol de Wenden, qui rappelle l’analyse de la sociologue Dominique Schnapper : la France est un pays d’immigration qui s’ignore. Il faut réconcilier les Français avec leur passé.
Jean-Noël Barrot a rappelé le lien entre les questions migratoires et les valeurs centristes. A l’Assemblée, c’est la présidente de la Commission des Affaires étrangères Marielle de Sarnez qui a porté devant tous les députés l’urgence du problème migratoire, avant même la loi Asile et Immigration de 2018.
Avec des mots simples et percutants, Jean-Noël Barrot a expliqué son travail de rapporteur : il s’agit de regarder la copie du Parlement et de « challenger » ce qui peut être entrepris. Hier, 5 novembre, les députés ont ainsi présenté leurs réflexions sur le budget du Parlement. Or, il existe à présent une nouvelle phase : le printemps de l’évaluation. Auparavant, l’examen se passait en une seule journée, et d’un seul bloc. Aujourd’hui, on peut mieux s’interroger sur l’efficacité des politiques gouvernementales, en prenant le temps.
Dans le rapport qu’il a co-rédigé avec Stanislas Guerini, Jean-Noël Barrot a notamment comparé le coût de l’expulsion forcée et le coût de l’expulsio aidée (14000 euros pour une explusion dans le premier cas, 2500 dans le second). Pour cela, il fallait identifier 30 lignes de budget différentes (interpeller, retenir, escorter, autant de phases et de coûts). Il est utile de mettre des chiffres sur ces politiques. Les chiffres parlent, car ils permettent souvent de démonter des idées reçues.En prenant comme angle le coût pour les finances publiques, on peut imaginer une gestion plus rationnelle.
Autre idée reçue : l’aide financière au retour est-elle réellement efficace ? Là aussi, le rapport montre que, en réalité, sur les 10 dernières années, l’aide au retour joue comme effet déclencheur des retours. Et, s’il existe des motifs d’attractivité du système français, ce n’est pas dans l’aide au retour qu’il faut les chercher.
Il est vrai que, sur plus de 100 personnes en situation irrégulière, seule une quinzaine quitte le territoire. Mais la recommandation est bien de continuer à augmenter l’aide au retour volontaire.
Rapporteur pour avis depuis 3 ans, la députée Elodie Jacquier-Laforge a rappelé qu’au sein de l’UE, l’asile est un engagement international. Or, les outils sont mal adaptés. On constate souvent un phénomène de rebond, des personnes ayant échoué à obtenir l’asile dans un ou deux pays se dirigeant vers un autre. Un très grand nombre de migrants demandent l’asile en France après avoir été débouté, par exemple, d’Allemagne ou de suède. Sur les règlements de Dublin, des blocages subsistent, à cause de la règle de l’unanimité.
Point positif : en octobre, le ministre de l’Intérieur a trouvé un accord, à Malte, avec l’Italie.
La France porte une véritable volonté de remettre sur la table ce débat migratoire et de mettre en place des outils de solidarité, notamment financière.
Il faut cependant arriver à sortir du cas par cas pour avoir une visibilité globale.
Animée, la discussion avec le public a premis d’évoquer les questions de l’hospitalité, de l’appartenance, de la dignité humaine.
Jean-Noël Barrot a salué, dans les 20 points du plan adopté ce 6 novembre, 3 choses :
- le fait que la dimension européenne soit mentionnée d’emblée. S’il est si difficile d’harmoniser le droit d’asile en Europe, c’est à cause de la règle de l’unanimité.
- la dimension interministérielle de la réflexion
- la globalité des problèmes (l’arrivée, mais aussi la phase d’attente, les centres de rétention, les délais de traitement et, de ce fait, la question de la dignité des conditions d’attente)
Il a souligné des dysfonctionnements : en priorisant les dossiers les plus difficiles, les plus simples sont parfois rejetés. Ce droit d’asile, qui est un trésor national, peut se trouver dévoyé, les allocations n’allant pas toujours à ceux qui en ont le plus besoin.
Surtout, nos trois intervenants ont insisté sur cette idée, initiée par Marielle de Sarnez :
On oublie de penser que si les gens viennent et qu’on a érigé des frontières, ils ne pourront plus jamais revenir s’ils repartent dans leur pays.
Il faudrait créer une forme de fluidité, en évitant la fixation des personnes.
Plus on dresse des frontières et plus les gens ont tendance à se fixer dans les pays de peur de ne plus pouvoir y revenir.
Catherine Wihtol de Wenden a abondé dans ce sens : Si l’on ferme les frontières, on fige la situation. Si on les ouvre, on peut avoir des aller-retours. C’est vers ce phénomène de fluidité qu’il faut tendre. Il y a un effet pervers de la fermeture.
Le phénomène qui s’amorce, c’est l’entrée dans la mobilité du monde. Aujourd’hui, tout est interdépendant et les responsablités sont multiples.